J’entends le loup…
Ils guettent. Tous les deux, tassés plus encore dans la minuscule voiture, ils guettent. Leurs têtes dépassent à peine des fenêtres, et ils n’osent plus respirer. La bouche pâteuse, et l’esprit embrouillé par la demie bouteille de vin qu’ils ont descendu, Charlotte se demande – vraiment – ce qu’elle est venue faire dans cette galère.
— Tu es sûr de toi ?
— Certain, chuchote Élie du plus bas qu’il peut.
Sûr de quoi ? Dites-nous ! On crève de savoir !
— C’est quand-même pas commun, murmure Charlotte.
— J’ai l’impression que le patron de cette expédition, c’est le bordel, donc ça m’étonne pas plus que ça, répond-il. Chut, maintenant. Je suis sûr qu’on va le voir ou l’entendre.
Mais voir ou entendre quoi ? Un fou échappé d’un asile, comme dans les mauvaises légendes urbaines que l’on se raconte autour d’un feu de camp, pour fiche la frousse aux adolescents avant de retourner dans les tentes ? Un tigre échappé d’un zoo ? Un ours, comme Élie l’avait suggéré ?
Ils ont à peine eu le temps de dormir, les pauvres. Élie a réveillé Charlotte il y a vingt minutes, affolé, ses clefs dans la main pour seule arme. Ils ont verrouillé les portières, et ils attendent, d’entendre ou de voir le passage de ce qui les effraye tant.
Un moment de total silence passe. Charlotte a les yeux grands ouverts. Rien de tel qu’un bon coup d’adrénaline pour dessouler.
— J’ai l’impression que t’as rêvé, insiste-t-elle.
— Le déni n’a jamais sauvé de vie, réplique Élie, tous les sens en alerte.
— Allez arrête, quelle est la probabilité qu’un loup tourne autour d’une bagnole qui ne sent rien d’autre que l’essence et la ferraille ?
Ah… ! Voilà donc l’explication de l’affolement de nos amis…
— On est tous les deux sortis à un moment, je te rappelle, pour pisser… Il nous a senti, c’est sûr !
— Et il va faire quoi ? Secouer l’habitacle avec ses petites pattes et ronger les rétroviseurs jusqu’à temps de faire un trou dans le pare-brise ?
Élie lui lance un regard furieux, on dirait qu’il a vraiment peur. Une chouette pousse un cri dans le lointain, il est cinq heures du matin, la nuit est toujours aussi noire. Ici, en ce début de mois d’avril, il ne faut pas attendre le soleil avant sept heures du matin, le temps qu’il dépasse les crêtes et pénètre à travers le couvert du bois.
Charlotte allume le moteur, s’il faut, ils partiront.
Et soudain, là, dans les phares, une ombre…
Ils se figent, Charlotte a les mains sur le volant mais elle n’a pas enlevé le frein à main.
L’ombre bouge prestement, elle semble immense. La chouette pousse un nouveau cri, et la tension est palpable dans la voiture. Personne ne dit rien, l’ombre se rapproche.
Dans le seul phare encore d’attaque, un museau pointe… Moustaches, truffe curieuse… Charlotte et Élie, malgré leur peur, se relève de leurs sièges pour mieux voir la bête.
— Qu’est-ce que…
Élie observe, médusé, l’animal sauvage devant le phare allumé, qui renifle curieusement le capot, relevant le museau vers le pare-brise, le corps étendu de tout son long.
Ah ça, oui, elle est tendue, la bête. Et Élie devine à sa gauche les épaules de Charlotte qui tressautent, à un rythme régulier. Il tourne le regard vers elle, puis vers l’animal qui est parvenu à grimper sur le capot de la voiture et les regardent de ses grands yeux noirs et curieux.
Charlotte fait tous les efforts du monde pour ne pas éclater de rire, et ainsi effrayer le terrible animal qui se tient devant eux : un furet.
Élie, penaud, croise le regard de Charlotte, et c’en est fini du calme de la forêt et de la nuit : les deux amis partent d’un fou-rire incontrôlable, et le furet sursaute et s’enfuit, se demandant par quel diable des bestioles peuvent faire autant de bruit.
Peter se met à table
Marc se gare devant chez ses beaux-parents. Peter lui a envoyé un message tard, pour lui demander qu’ils se voient. Alors, Marc a profité d’une balade d’Anne et Marie-Ange pour aller voir son beau-père, qui a insisté pour qu’ils soient seuls.
Il trouve bien cela un peu étrange, Marc, mais il essaye de ne jamais se faire d’idées avant d’avoir toutes les cartes en main. Il va un peu mieux Marc, moins stressé. Même s’il sait que désormais, avec le retour de Sally, ils doivent se préparer avec Anne. D’autant qu’elle refuse toujours de reprendre contact avec eux, et a décrété qu’elle logerait chez ses grands-parents.
Marc chasse ses idées avec une grande inspiration en appuyant sur la sonnette. Peter lui ouvre, l’air soucieux. Il trouve à l’homme de soixante-treize ans un air fatigué, un peu tassé, et pense immédiatement qu’il sait quelque chose à propos de Sally.
Mais quand ils s’asseyent avec un café, Marc comprend qu’il ne s’agit pas du tout de Sally.
— Merci d’être venu, son. Je dois te dire quelque chose qui n’est pas facile. Alors excuse-moi d’avance de te donner ce fardeau, car je n’ai pas pu en parler à Marie-Ange, du tout.
— Dis-moi, Peter, qu’est-ce qu’il se passe ? Demande Marc doucement, ne lâchant pas son beau-père des yeux.
— Eh bien voilà.
Il tend sa main devant lui.
— Tu ne remarques rien ?
Marc regarde, fixement, la main de l’homme tendu devant lui. Blanche, veinée, des tâches brunes la colore un peu. Presque imperceptible, il y a bien, oui, un léger mouvement, une oscillation, mais Marc n’y a jamais prêté attention : pour lui, ce n’est qu’un signe de l’âge parmi tant d’autres.
— Je suis désolé, je ne vois pas… C’est parce qu’elle bouge un peu ?
Peter opine du chef, et repose la main sur son genou. Il reprend une gorgée de café, et se remet à parler, lentement.
— C’est Parkinson, fiston.
Voilà, il n’a pas pu s’en empêcher, sa voix s’est brisée. Il serre les lèvres de toutes ses forces, mais quand il relève les yeux vers Marc, celui-ci note l’eau qui s’est accumulée au bord des paupières de Peter. Alors, Marc, qui ne sait pas quoi dire, encore, pose simplement la main sur celle de son beau-père, touché par la soudaine fragilité du colosse drôle et fort qu’il connaît depuis si longtemps.
Les deux hommes se tiennent en silence, immobiles, pour quelques instants seulement bercés par le bruit de leurs respirations.
— Qu’ont dit les médecins ?
Marc a brisé le silence, il est temps.
— Ils ont parlé du traitement, de ce que je peux faire de mon côté. La vérité, c’est que ça fait des semaines que ça me ronge.
Marc prend une grande inspiration, la relâche, il sait la responsabilité qui est la sienne désormais.
— Il faut en parler à Marie-Ange, Peter. Et à ta fille.
— Je sais.
De nouveau, la voix qui se brise. Leur dire à elle, c’est ancrer cette saloperie un peu plus dans le réel. Mais c’est ça, ou se laisser bouffer. De toute manière, les filles rentrent, ils entendent le bruit de la porte d’entrée.
Dans l’Antre de Jeannot
Thiers est une très jolie petite ville qui s’élève sur un promontoire, calée contre les premiers contreforts du Forez. Surpris par la beauté de ce qui les entoure, Charlotte et Élie cherchent simplement l’office du tourisme, pour récupérer des cartes. Certes, ils ont récupéré le réseau, mais pas question de se faire avoir une deuxième fois.
Quand ils expliquent leur situation, la dame de l’office a un petit sourire – elle n’a pas manqué de remarquer leurs mines déconfites – et leur tend la carte IGN dont ils auront besoin pour rejoindre La Goutte. Elle aura un truc rigolo à raconter à Cathy, sa collègue qui arrive pour l’après-midi.
Avant de quitter la ville, les deux zozos cernés vont prendre un petit déjeuner bien mérité dans un joli café de la ville haute, et médiévale. Charlotte en profite pour envoyer un message à Maxime, et le prévenir de leur retard :
« Les routes du Livradois nous ont joué des tours. On a dormi dans la bagnole. On prend le petit déj’ à Thiers et on repart à l’exploration pour trouver ton Pépé. Il a intérêt à se montrer coopératif, j’ai pas fait tout ça pour rien. »
Quand Maxime lit le message sur son téléphone, il est partagé entre le malaise et le rire. Il le montre à Maddy, qui pouffe assez franchement : elle sait que Charlotte n’osera jamais crier sur un petit vieux, mais elle est contente qu’elle n’y soit pas seule !
D’ailleurs, les voilà qui redescendent déjà de la colline de Thiers, rejoignant la voiture. Et c’est reparti, carte sur les genoux, pour l’épopée utopique d’Élie et Charlotte. De jour, tout est plus beau. La région est rude et les paysages parfois spectaculaires. Ils traversent les vallées et les monts, une heure durant. Jusqu’à temps d’arriver par une minuscule route qui traverse la forêt d’épineux, dans un minuscule village.
Et, tout au bout de ce village, une petite maison moderne accolée à un énorme corps de ferme en pierres, qui porte ses années avec majesté.
— Voilà l’Antre de la Bête, déclame Élie. Elle nous attend…
— C’est moi ou tu as un peu les pétoches de ton grand-père ?
Élie sourit, ne dit rien et descend. Non, ce n’est pas vraiment de la peur ; d’autant que Jeannot a dû reporter tout son amour sur lui après qu’Antoine l’ait « déçu en tant qu’homme » et qu’il ait mis Maxime dans le même panier. Soudainement, Élie se demande pourquoi Max veut-il tant le convier à la fête de la naissance de son petit.
Charlotte voit la question dans ses yeux, hausse les épaules.
— Allez, on va en finir.
— Oh, mon amie, ça ne fait que commencer…
Charlotte s’attendait à tout, sauf à ça. À quatre-vingt-un ans, elle envisageait un petit vieux, presque grabataire, aux cheveux rares ou blancs. Mais Jeannot est tout sauf un vieillard.
La porte s’ouvre sur un colosse, au moins aussi grand et large d’épaule que son grand-père, Peter. Un mètre quatre-vingts dix, cent kilos au bas mot. Des cheveux à foison, encore poivre et sel. Des sourcils fournis qui lui dessinent un regard qu’il a sévère, dans des petits yeux assez ronds, et bleu glacier. La peau de son visage est brune et tannée, le nez large et fort, et les lèvres amènent seule une touche de rondeur et de douceur dans un visage où tout est carré et rude.
Il sourit en voyant les yeux verts et rieurs de son petit-fils, et lui donne une accolade franche. Il considère Charlotte, lui fait un simple signe de tête poli, avant de les inviter à entrer.
— Crois pas que j’ignore pourquoi vous êtes venus, j’ai eu ton père au téléphone.
Bim, premier uppercut. Élie soupire, son père ne sait pas tenir sa langue…
— Mon père devrait apprendre à se coudre les lèvres, si tu veux mon avis. Je t’ai pas présenté mon amie, je crois, Charlotte, qui est à l’initiative de tout cela…
— Je sais qui elle est, dit-il en refaisant un signe de tête vers elle. J’ai appris ce qui vous est arrivé, et j’suis désolé, ajoute-t-il vers elle, d’un ton bourru.
Charlotte, décontenancée, le remercie simplement. C’est la première fois qu’un étranger lui parle sans détour et franchement à ce sujet. Elle ne sait pas bien à quoi s’attendre pour la suite, mais elle se détend, juste un peu.
— Tenez les jeunes, ça vous fera du bien. Y paraît que vous avez eu bien du malheur à me trouver, hier, dit-il en posant trois verres sur la table et une bouteille de pinot noir. Elle boit, la petite ?
— Elle boit, dit Charlotte en le regardant.
Presque aussi difficile de se fondre ici qu’au Japon. Les coutumes ne sont pas les mêmes, mais sacrebleu ! Heureusement que Charlotte a le don social dans le sang. Elle reste un petit peu en retrait, pendant qu’Élie explique tout bien à son grand-père.
Il repose son verre vide sur la table, se resserre, et, avisant les verres de ses deux invités, repose la bouteille. Il ne sait pas qu’ils se sont vidés la bouteille qu’ils avaient prévue pour lui hier soir, dans la voiture, tout en guettant de dangereux furets. Élie va bien se garder de lui dire.
— Bon, votre couette, là, je veux bien participer.
Ils osent à peine respirer, les jeunes. Aussi facile ? Non… Pas possible, il y a anguille sous roche, baleine sous grain de sable…
— J’ai juste une question, tu me pardonneras, fils, continue-t-il en s’adressant à Élie. Votre sauterie, là. Elle sera là, elle ?
Il a appuyé sur ce « elle » comme si le mot même le dégoûtait. Comme s’il avait trop de mépris pour dire le prénom de la femme dont il parle. Il a jeté ce « elle » comme un fruit pourri sur lequel on tombe par hasard dans le panier.
— Elena sera là, oui. C’est la grand-mère du petit, Pépé.
Charlotte regarde le combat de titans qui se met en place. Le Pépé en question repose son verre sur la table, vide. Quelque chose dans la manière dont il l’a posé fait penser à Charlotte qu’il commence juste à s’agacer. Elle regarde le grand corps se ramasser sur lui-même, prêt à encaisser – ou à envoyer.
— Si cette salope est là, je viens pas.
Aïe. Élie prend une grande inspiration, et là, comme il regarde son grand-père et son front buté, il commence à se demander s’il aura raison du vieux.
Tu n’es pas seul
À Villejuif, l’ambiance n’est pas tellement meilleure. Si l’on en croit les contes, il faut traverser des épreuves pour atteindre la félicité et l’accomplissement. Seulement là, Peter a simplement l’impression qu’il se prend un mur. Pas une épreuve à traverser, dont on peut espérer sortir vainqueur après de l’entraînement et beaucoup de ténacité.
Assis à la table d’où il n’a pas bougé, il regarde Marie-Ange et Anne, dont les sourires sont retombés quand il leur a appris la nouvelle. Elles accusent le coup, comme Marc, tout à l’heure.
Anne aimerait revenir juste dix minutes en arrière, alors qu’elle devisait plutôt gaiment avec sa mère, en revenant des courses pour le repas du soir. À l’instant où elle ne savait pas encore. Ce moment où elle pensait simplement ouvrir la porte sur la maison de ses parents, pour y retrouver les deux hommes de sa vie.
Quant à Marie-Ange, elle a embrassé la main de son mari, et ils sont restés comme cela quelques instants. Puis, elle s’est levée, a pris quatre verres, le whisky d’Écosse dont Peter ramène tous les ans deux bouteilles, qui lui font l’année. Elle a versé le liquide ambré dans les quatre verres, et chacun a trouvé un réconfort dans cette tradition familiale.
Ici, on ne sort jamais le whisky pour rien.
— Il est quand, ton prochain rendez-vous à l’hôpital ? Demande Marie-Ange, après avoir pris une gorgée d’oiseau.
— Je n’en ai pas repris, après les résultats de l’IRM.
— Alors j’appelle demain, et on y va ensemble, tu es d’accord, Peter ? Reprend-elle.
Il opine lentement, reprenant une gorgée de whisky.
— Je suis désolé de ne vous avoir rien dit.
Anne relève le regard, ose croiser celui de son père, qui s’excuse. De quoi, au juste ? Les pensées fusent dans sa tête, certaines bizarres, d’autres banales, mais une seule phrase peut sortir à ce moment-là.
— Ne t’excuse pas, Papa. On est ensemble, d’accord ? Et puis, ça se traite, cette maladie, plutôt bien, non ? Alors on va pas te laisser tomber, tu peux compter sur moi, dit-elle en prenant la main libre de son père.
— Je sais, love, je sais que je suis pas tout seul. J’ai été tellement imbécile de ne pas en parler.
Ils échangent un regard, là, dans ce petit salon sans prétention, et comprennent, peut-être pour la première fois, l’entreprise de Charlotte.
In vino veritas
Charlotte, quelques centaines de kilomètres plus au sud, se heurte, avec Élie, au mur d’un Auvergnat de quatre-vingt-un ans. Elle se dit que c’est parti si vite, si loin… Elle a du mal à envisager la sortie heureuse. Eh, si tout était facile, on s’ennuierait dans la vie, ma vieille, se dit-elle.
Elle observe les deux hommes au front buté, et sent l’explosion arriver. Elle voudrait intervenir, mais elle a un peu peur. Le grand-père de Maxime et Élie est un sacré morceau, et elle n’a pas vraiment envie de se le mettre à dos, d’autant qu’elle ne le connaît pas.
— Mais qu’est-ce que ça te coûte, à toi ? C’est pas toi, qu’elle a trompé, non ?
— Pire, elle a sali mon nom. Cette salope, crache Jeannot.
— Mais putain, ton nom ! C’est notre nom aussi, et ce sera le nom du fils ou de la fille de Maxime, merde, Pépé ! Tu peux pas rester con comme ça, tout seul dans ton coin !
Cette fois, Élie s’emporte. Presque une heure qu’il essaye de parler avec son grand-père, essayant de creuser, de raisonner, de toucher ses sentiments. On dirait qu’il n’en a pas, ou alors, c’est qu’il les a enfoui tellement profondément qu’il faudrait une fourche pour aller les piquer !
Mais après l’envolée de son petit-fils, piqué, il l’est, le vieux. Charlotte le voit devenir tout rouge, et ses poings se serrer. Dans l’affolement, elle réagit avec ses tripes.
— Monsieur, glisse-t-elle avant qu’il ne parle. Ce qu’Élie essaye de vous dire, je crois, c’est qu’il s’agit de la naissance de votre arrière-petit enfant, et… qu’au fond, vous avez sûrement envie de le connaître, ce serait dommage…
— Fermez-la, vous, on ne vous a pas sonnée, lance l’homme, vertement.
Charlotte se recroqueville sur sa chaise, et finit d’un coup sec son deuxième verre de pinot.
— Quant à toi, mon garçon, venir ici pour…
Mais déjà, Élie s’est levé. Et il se dirige vers la porte, faisant un signe de tête vers Charlotte. Elle le regarde, éberluée. C’est du bluff ou il va vraiment partir ?
— Tu sais quoi, Pépé ? Reste tout seul dans ton coin, va. Avec ta haine de merde, franchement, reste là. On a pas besoin de quelqu’un comme toi pour fêter l’arrivée d’un bébé dans cette famille. Que tu me parles mal à moi, c’est une chose, que tu continues d’insulter Elena, alors que même Tonton lui a pardonné, c’est débile mais ça t’appartient. Mais que tu insultes Charlotte alors qu’elle a fait la route, pour venir jusqu’ici, qu’elle a fait l’effort, qu’elle a dormi dans sa bagnole, enquillé comme personne, et qu’elle essayait simplement de te dire quelque chose, ça, non.
Il a lâché tout cela d’un coup, sans presque reprendre sa respiration, sans laisser le temps à quiconque de le couper. Il a parlé d’une voix forte, ferme, mais sans crier.
Et puis, il prend son manteau, accroché près de l’entrée, en ne quittant pas son grand-père des yeux. Charlotte observe, silencieuse. Elle s’est levée doucement, mais bouge très lentement, comme pour donner le temps à Jeannot de répondre. De retenir son petit-fils. Elle n’a jamais vu Élie autant en colère. Ses yeux brillent, mais il est résolu.
La porte est ouverte, Élie tend son manteau à Charlotte. Il regarde toujours fixement son grand-père, qui s’est tu, mais n’a pas baissé les yeux. Elle comprend qu’elle ne peut plus rien faire, et ne souhaitant pas causer une crampe au bras de son ami, elle se saisit de son manteau, et penaude, la tête basse, s’apprête à passer la porte.
Puis, elle se retourne, relève le regard et interpelle Jeannot, qui débloque ses yeux vers elle. il voit la jeune femme, triste ; il sait que son petit-fils se marie avec sa sœur. Elle doit être jolie, et puis, il est sûr qu’il sera beau, cet enfant. Surtout s’il ressemble à Apolline, sa femme, partie il y a déjà quinze ans.
— Merci, pour le pinot.