Couverture ou marathon ?

— Oui, elle est censée passer me chercher dans cinq minutes, enfin… Il y a cinq minutes, fait Élie en rigolant, le téléphone calé entre l’oreille et l’épaule alors qu’il termine lui-même ses affaires pour le weekend.

Cela fait un moment qu’il n’est pas allé voir son grand-père Jeannot en Auvergne, on est presque en avril, et il ne sait pas vraiment quoi emmener. Dans le doute, il n’a pris que des vêtements chauds : il a des souvenirs de la morsure du froid là-bas, c’est encore autre chose qu’à Paris.

— Tu n’as plus qu’à attendre, dit la voix de Maxime à l’autre bout du fil. Mais te connaissant, je suis sûr que tes affaires sont déjà prêtes, n’est-ce pas ? Ajoute-t-il, de la malice dans la voix.

— Tout est plié, rangé, nickel chrome dans mon sac, rétorque-t-il tout en mettant sa brosse à dents dans sa trousse de toilette, qu’il a failli oublier.

Maxime rigole franchement cette fois, de ce rire de ténor si communicatif qui ne vient que quand il est sincère. Élie sourit.

— Tu sais que ça fonctionne encore avec ma mère, ce genre de trucs ?

— Tu parles, elle n’est pas dupe, mais tout fonctionnerait avec Sarah, du moment que ça vient de toi, ricane Maxime.

Que c’est bon de penser à autre chose qu’à Maryam, se dit Élie. Et aussitôt cette pensée formulée, il sent la balle de plomb lui ravager le cœur, de nouveau.

— Allez, je file, j’ai une mission à réussir pour toi ce weekend !

— T’inquiète, c’est Pépé Jeannot, je m’attends pas à ce qu’il revienne la bouche en cœur pour rencontrer son premier arrière-petit enfant.

Mais en raccrochant, Maxime pense exactement l’inverse. Il ne veut pas ajouter trop de poids sur les épaules de son cousin, qu’il sait chargées d’un tout autre problème en plus de l’expédition dans le Livradois… Au son de sa voix, Maxime sait qu’Élie est encore malheureux. Peut-être même plus qu’avant, parce qu’il arrive à le cacher de mieux en mieux, ce qui chez lui, n’est pas bon signe.

En réalité, Maxime attend beaucoup de ce voyage. Il ne s’est pas vraiment rendu compte à quel point cela importait pour lui, jusque-là. Renouer avec son grand-père, c’est tourner définitivement la page sur le divorce qui a fait imploser sa famille, il y avait vingt ans de cela. Maxime construit une nouvelle famille, avec Madeline, jamais les paroles de Charlotte n’ont eu autant de sens.

Pas envie que cet enfant arrive dans un bordel de vieilles rancœurs.

Au même moment, Élie entend la délicate sonnette grincer : tiens ! Charlotte est arrivée. Avec dix bonnes minutes de retard. Il sourit. Il espère franchement, Élie, que cette escapade loin de Paris va lui faire du bien. Va l’empêcher de penser. Il en a, de l’espoir…

Il ouvre à Charlotte et l’invite à monter, laissant sa porte d’entrée ouverte, tandis qu’il termine de faire son sac. Élie ! Les chaussettes ! Tu as oublié les chaussettes !

Charlotte ouvre en affichant un assez large sourire.

— Pas un pour rattraper l’autre, lance-t-elle au jeune homme qui prend une mimique tellement penaude que Charlotte rigole franchement.

— Je n’avais pas prévu d’y passer autant de temps, mais j’ai été déconcentré par un coup de fil de mon amour de cousin, vois-tu…

— Oh ! La mauvaise foi, réplique Charlotte, ricanant toujours. Aller mettre ça sur le dos de Max, il fallait le faire.

— J’ai la sensation d’oublier un truc…

— Ta conscience ?

— Ha, ha, ha. Non, un truc matériel que je possède.

— Tu devrais faire des listes.

— Toi, Madeline et vos listes…

— N’empêche, on n’oublie rien !

Élie rigole en secouant la tête, mais au fond, la présence de Charlotte le réchauffe déjà ; il la côtoie depuis aussi longtemps qu’elle connaît Maxime. Ils ont mis un peu de temps à devenir amis, mais aujourd’hui, il la compte – et c’est réciproque – parmi les meilleures.

— Bon, je t’aide. Pantalons, pulls, t-shirts, chemises…

Tandis qu’elle égrène les vêtements comme les perles d’un collier, il secoue la tête doucement, de gauche à droite.

— Continue ?

— Brosse à dents, caleçons, chaussettes…

— Ah ! Les affreuses, les coquines, les vilaines bougresses de chaussettes ! Déclame-t-il, en ouvrant le tiroir.

Il balance quatre paires au pif dans son sac, et le compresse pour parvenir à le fermer. Le tout sous le regard amusé de Charlotte, qui a l’impression de partir en weekend avec sa meilleure copine.

Il se relève, presque essoufflé, et son regard tombe sur Charlotte et son sourire en coin.

— Moque-toi, cruelle amie ! Moque-toi donc… Tu ferais mieux de soigner ton copilote, ou nous n’arriverons jamais à La Goutte.

— La Goutte ?

— Ah, l’impie n’a pas lu mon message…

— J’étais en voiture, l’impie conduisait, répond Charlotte du tac-au-tac.

— Certes… La Goutte, c’est le nom du repère du vieil ours qu’on t’a présenté comme notre grand-père, à Maxime et à moi… Difficile, ta route sera, pour le grand-père trouver !

— Fais pas trop le malin, dans la voiture avec moi, tu siéras.

En refermant la porte, Élie lâche un long soupir qui n’échappe pas à Charlotte. Elle observe son ami du coin de l’œil, mais choisit de se taire. Charlotte ne sait rien du grand secret qui n’en est plus un, c’est donc d’une manière assez neutre qu’elle avise le jeune homme aux yeux verts.

Ils descendent silencieusement. Dans l’obscurité du couloir à l’ampoule cassée, Élie se rappelle que Charlotte est une spécialiste ès-sentiments, et que jamais aucune relation, aussi bien cachée soit-elle, ne lui a échappée. Après tout, personne n’a eu besoin de lui dire pour Maxime et Madeline, elle l’a su bien avant qu’ils ne lui en parlent. Idem pour Lola et Sally, même si cela, Élie ne le sait pas.

Une fois dans la voiture, il profite que Charlotte fasse ses derniers réglages pour envoyer un message à Maryam. Le seul depuis leur esclandre.

« Tu m’avais dit d’aller chercher mon pépé, et qu’on reparlerait. Je vais chercher mon pépé, là. Je pars tout le weekend, avec Charlotte. J’espère qu’à mon retour, on parlera. »

L’inspiration de Maxime

— Salut, Maxime. Comment vas-tu ?

La porte du bel appartement parisien du dix-huitième arrondissement s’est ouverte sur Camille, le beau-père de Maxime, second mari d’Elena. Il entend d’ailleurs sa mère dans la cuisine, qui le salue en embrayant sur son ordinateur qui ne va pas et s’il te plaît, tu pourrais y jeter un œil ? Elena tout craché, vive et qui ne s’embarrasse pas trop des conventions sociales.

Maxime va tout de même saluer sa mère, qui prépare un apéritif dans la cuisine.

— Tu permets, je te salue avant de dire bonjour à ton engin du diable ?

Elena se retourne, les yeux noirs rieurs, et embrasse son fils.

— Comment va Madeline ?

Elle va bien, lui dit Maxime, ça pousse, il est heureux, le plus heureux des hommes, mais il le serait encore plus si son grand-père arrêtait d’être une tête de pioche et acceptait de venir rencontrer son premier arrière-petit enfant. Bien sûr, il ne dit pas tout cela, simplement les choses convenues. Et il file s’occuper de l’ordinateur de sa mère.

Une demi-heure plus tard, ils sont tous installés, un verre à la main, Elena devisant gaiment – la perspective de devenir grand-mère la ravie – Camille l’écoutant avec son flegme habituel, doublé d’un sourire toujours aussi amoureux, et Maxime avec une seule oreille.

Il réfléchit déjà à la manière dont il va annoncer sa belle idée à sa mère. Déjà, lui parler du projet de Charlotte, de la Couverture des 100 Vœux, ce sera pas mal. Mais comment aborder le sujet du grand-père sans drame, sans cri, lui qui n’aime pas tellement cela. Et il ne pourrait pas en vouloir à sa mère de réagir ainsi, il sait le mal que lui a fait Jeannot.

— Maman, Camille, il faut que je vous parle de quelque chose.

Elena se recule sur le dossier du canapé, se rapprochant imperceptiblement de Camille. Maxime parle rarement pour ne rien dire, surtout quand il a ce regard-là. Il prend une grande inspiration : il va commencer par le plus facile, la chouette nouvelle, et terminer un peu traîtreusement sur le sujet du grand-père.

— C’est Charlotte qui m’a donné l’idée, commence-t-il. Elle a pour projet de commander une Couverture des 100 Vœux, c’est une couverture patchwork, une tradition chinoise où chaque membre de la famille choisit un tissu et écrit un vœu pour l’enfant à naître. Elle va mettre ça en place avec un petit atelier, pour nous, et pour notre bébé. Elle devrait vous contacter sous peu d’ailleurs car il faudra choisir votre tissu…

— C’est une magnifique idée ! S’écrie Elena. Quel courage, après ce qu’elle a vécu…

— Oui…, et d’autant plus courageux que pour l’occasion, elle a décidé de ramener sa petite sœur à la maison. Vous savez, Sally, la dernière ?

— Ah oui, elle est partie au Japon, c’est ça ? Je n’avais pas conscience qu’elle ne parlait plus à sa famille, commente-t-elle.

— Plus du tout, depuis un an et demi… Alors Charlotte y est allée, au Japon, pour la chercher. Apparemment, ça a été compliqué mais Sally a promis de venir pour la naissance du bébé.

Camille commence à comprendre. L’homme est peu loquace, mais il voit venir Maxime à deux mille lieux à la ronde. Les relations n’ayant pas toujours été excellentes entre eux, il se garde bien de dire quoique ce soit, et laisse le fils de sa femme venir. L’intention est louable, se dit-il. Et l’enfer en est pavé, contre-t-il aussitôt, silencieusement.

Maxime jette un regard à son beau-père, et il devine qu’il se doute de quelque chose. Il peut presque voir les rouages de la réflexion dans la tête carrée de l’homme de quarante-trois ans. Il apprécie néanmoins qu’il ne dise rien. D’autant que sa mère lui lance un regard scrutateur. Elle se demande bien où il va aller avec ça. Car Elena, autant elle adore l’idée de la Couverture, autant elle n’aime pas du tout voir ce regard chez son fils. Il est grave et apeuré en même temps.

— Elle m’a… disons, inspiré. Et j’ai eu envie de…

Oh, que les mots sortent difficilement !

— De ramener Pépé. Lui donner au moins une chance de connaître son arrière-petit enfant.

Ouf, voilà, c’est dit. Non sans mal, mais c’est dit. Il a posé son paquet, et il ne sait pas encore si sa mère va appuyer sur le détonateur ou bien désamorcer la bombe. Elle a tellement souffert pendant le divorce, du comportement de Jeannot, alors qu’Antoine essayait tant bien que mal de rester correct. Mais à un moment, Antoine, fatigué, avait un peu trop laissé faire son père, monté à Paris pour l’occasion. Elena ne pourrait jamais oublier les chapelets d’injures qu’il lui avait adressées, avec un regard qui, quand elle prend la peine de le rappeler, derrière ses paupières fermées, la fait encore frémir.

Mille fois, elle s’était dit que cet homme voulait la tuer. Mille fois, Antoine avait essayé de la rassurer, de lui dire qu’il tiendrait son père à distance. Elle avait posé une main-courante au commissariat, à l’époque, mais ni Antoine, ni Maxime n’étaient au courant. Juste au cas où, parce que ça n’engageait à rien.

Mais aujourd’hui, Elena regarde Maxime sans trembler. Elle ne ferme pas les yeux, Elena. Elle regarde son fils de trente-et-un ans, qui s’apprête à devenir père pour la première fois. Elle reconnaît en lui la bonté et la douceur d’Antoine. Les mêmes qui font qu’après des années de douleur, puis d’entente cordiale, ils sont amis. Vraiment amis, et fiers de leur fils unique.

Alors, Elena prend la main de son enfant, le regardant droit dans les yeux, comme pour le rassurer : non, ce n’est pas elle qui se mettra en travers de son chemin. Et s’il faut le revoir, cet odieux personnage, eh bien, tant pis. Elle n’est plus la femme qu’elle était il y a vingt ans. L’âge l’a apaisée et a creusé des ridules sages aux coins de ses yeux et sur son front.

— D’accord. Je comprends, c’est naturel. Tu en as parlé à ton père ?

— Pas encore, fait Maxime dans un soupir de soulagement.

Il jette un œil à Camille, guettant sa réaction. Alors, Camille parle.

— Il a accepté, lui ?

— Pas encore… Élie et Charlotte y vont ce weekend pour le convaincre. Enfin, essayer.

— Bonne chance à eux, avec cette tête de pioche, commente simplement Camille, avec un petit sourire.

Et Maxime ne peut pas lui donner tort. Il espère qu’il n’a pas envoyé Charlotte dans un guet-apens. Elle ne mérite pas ça. C’est comme si, d’un coup, il vient de s’apercevoir de ce qu’il a demandé à son amie. Et de ce qu’elle a accepté. Il passe une main sur sa nuque.

— Ne t’en fais pas, reprend Elena de sa voix de contre-alto. Ton cousin est malin comme un singe, et Charlotte a de la ressource, j’ai l’impression.

Maxime hoche la tête, et regarde sa montre : à cette heure-ci, ils ne devraient plus tarder à arriver à la vieille ferme de Jeannot.

On ne devrait jamais quitter Montrouge

La nuit n’est jamais aussi noire que dans une forêt. Une vieille forêt, dans les collines du Livradois-Forez, quelque part au sud de Thiers. Sur la route sinueuse, étroite, une petite C3 orange se fraye un chemin : le brouillard s’épaissit de minute en minute et l’un des codes est cassé. Charlotte conduit prudemment, et Élie essaye de s’y retrouver avec la carte imprécise qu’il a dans les mains.

— Je n’arrive pas à croire que tu ne sois jamais venu ici seul…, dit Charlotte, qui décélère dans le virage en tête d’épingle.

— Je n’ai pas de voiture, j’y suis toujours allé avec mes parents. Je ne pensais pas qu’un jour, je me perdrais sur ces routes, de nuit, par temps de brouillard, sans réseau, et avec une carte à la mauvaise échelle.

— C’est vrai qu’on a fait fort, dit Charlotte en riant, nerveusement.

— Il paraît qu’on fait pas les choses à moitié, chez nous.

— Pareil. À nous deux, on était foutu. Bon, on va s’en sortir, c’est pas grave.

Mais Charlotte commence à douter qu’ils retrouveront leur chemin ce soir. Et puis elle guette la jauge d’essence. Depuis une heure, ils ne voient plus âme qui vive. Les quelques maisons devant lesquelles ils passent, sont éteintes. Comme si la vie avait quitté cet endroit. Seuls les grands pins et les arbres les recouvrent entièrement, moitié protection, moitié menace.

Comme pour lui rappeler qu’elle se trompe, une biche traverse soudain, ses yeux s’illuminant dans le phare allumé. Charlotte pile, Élie lâche la carte. La biche s’arrête, observant curieusement ces deux êtres étranges dans une boîte en métal qui roule, venus se perdre ici. Ce royaume n’est pas le vôtre, pense-t-elle dans un langage qui lui appartient. Puis, doucement, gracieusement, la biche se remet en route, ses sabots effleurant à peine la route, disparaissant dans le brouillard.

Charlotte ne repart pas tout de suite. Elle reprend son souffle, et regarde Élie, tout aussi troublé qu’elle. Ah ça, les amis, c’est l’aventure…

— Je suis fatiguée, Élie, dit-elle la voix un peu tremblante d’émotion. Je te propose qu’on se cale quelque part et qu’on passe la nuit, on attend demain. Je ne veux plus conduire là-dedans.

Il opine, il se demande déjà comment ils vont dormir, ils vont forcément avoir un peu froid, et puis, il avise la bouteille de rouge qu’il a ramené pour son grand-père. Ils ont des pulls et une bouteille de rouge. Ils devraient s’en sortir.

Charlotte trouve un coin pour se garer, éteint le moteur. Ils sont dans le noir complet. Charlotte farfouille dans la boîte à gants sans rien trouver. C’est la voiture de sa grand-mère, c’est une citadine. Aucune lampe de poche ni couverture de survie ne viendra les aider, pense-t-elle.

De la poche rouge bordeaux, Élie sort la bouteille de vin. Charlotte le regarde, médusée.

— Mais non…

— Mais si. Aucune envie de crever de froid dans cette boîte d’allumettes. Et puis, ça me donnera du courage si un ours débarque, ajoute-t-il avec un sourire en coin.

Il sort ses clefs, ouvre l’aluminium qui entoure le goulot, et avec son porte-clefs, il pousse le bouchon dans la bouteille. Charlotte ne peut pas s’empêcher de rire, ça fait très longtemps qu’elle n’a vu personne ouvrir une bouteille de vin de la sorte.

— À la guerre comme à la guerre, mon capitaine, dit Élie d’un ton quelque peu dramatique, en lui tendant la bouteille.

Charlotte la prend, et elle doit bien s’avouer que les quelques gorgées du breuvage font du bien à son esprit autant qu’à son corps. Il est presque vingt-trois heures. Ils ont toute une nuit à tenir.

Machinalement, le jeune homme se saisit de son téléphone. Maryam n’a pas répondu. Et maintenant, il faudra attendre le lendemain. Un soupir s’échappe de ses lèvres.

— Ça va ? Lui demande Charlotte en lui rendant la bouteille.

Il boit deux grandes goulées sans rien dire. Charlotte ne renchérit pas. Elle sait qu’il se passe quelque chose. Elle ne sait simplement pas quoi ; est-ce la perspective de voir son grand-père, ou bien il s’est fâché avec Maxime ? Non, absurde… D’autant plus qu’il reprend une grande lampée avant de rendre la bouteille à Charlotte, s’essuyant la bouche sur la manche de son manteau noir.

— Don Juan s’est fait briser le cœur, Charlotte. Elvire s’est barrée, elle fait la sourde oreille, et le Commandeur c’est mon grand-père, mais je n’en ai presque plus rien à foutre, Charlotte. Je stressais un peu à l’idée de devoir le convaincre de venir, mais là, je suis juste.. mou, inutile, délabré.

— Dans la pièce, Don Juan n’est pas vraiment amoureux d’Elvire…, pointe Charlotte pour essayer de savoir qui est son Elvire.

— Je sais, répond-il avec un sourire triste. J’adapte. Maryam n’est pas non plus sortie d’un couvent pour m’épouser, et je ne l’ai pas bafouée.

Ah… Charlotte se garde bien de dire quoique ce soit ou de commenter. Elle se demande si qui que ce soit d’autre est au courant.

— Personne ne sait, tu es la seule. Uniquement parce que je ne vois pas comment je vais pouvoir passer toute la nuit avec toi et une bouteille de vin, sans réseau, et sans parler d’elle. C’est parti en live juste quand tu partais au Japon. Elle pense que je l’ai trompée, que je continuai à voir des filles en même temps qu’elle.

— Et ce n’était pas le cas… ?

— Non. Depuis que je la connais… de cette manière-là, ajoute-t-il avec un sourire gêné. Je n’ai fréquenté personne d’autre, vraiment. Seulement, elle ne voulait pas que ça se sache. Au départ, ce n’était pas censé être sérieux. Alors je lui ai promis que je ne dirai rien à personne.

Charlotte commence à comprendre l’humeur étrange du jeune homme depuis le début de cette journée. Au départ, ce n’est pas sérieux, deux amis qui se rendent un service, à peine. Et puis, les sentiments se développent, Charlotte voit très bien, oui. L’inverse aurait été étonnant.

— Alors, tu vas faire quoi, maintenant ? Demande-t-elle.

— Attendre… Elle m’a dit qu’on reparlait après que je sois allé chercher mon grand-père.

— D’où le message…

— Voilà, conclut-il en reprenant une grande gorgée du vin.

Il passe la bouteille à Charlotte qui en fait autant.

Elle relève le regard sur lui, et ses yeux verts sont rivés sur ses chaussures.

— J’espère que vous vous en sortirez, Maryam est une fille bien.

Ils sont tous les deux tassés sur leurs sièges, manteaux, écharpes, pulls et chaussettes chaudes en renfort. Une assez longue nuit les attend, et la journée promet d’être plutôt costaud aussi.

Que faire, alors, sinon parler…

Au nord d’ici, bien plus au nord, à Villejuif, c’est exactement ce que Peter a envie de faire. Le vieil Écossais regarde sa main, tenir le téléphone. Il serre les lèvres, avale sa salive, et ouvre la fonction Messagerie. Quand il presse la touche « Envoyer », il espère, Peter, que Marc va le rappeler. Il sait que les relations ne sont pas au beau-fixe, mais il estime son gendre, qui a toujours été de bon conseil.