Roméo, Juliette, Alice et Madeline…
— Bon, il se passe quoi, entre ces deux zozos ? Demande Alice une fois qu’elle a entendu la porte du bas se refermer.
Maxime se retourne, intrigué, et Madeline lève les yeux au ciel. Eh beh, voilà un secret de polichinelle découvert au grand jour ! Alice a toujours eu le don de mettre les pieds dans le plat. Ce n’est jamais méchant : c’est naturel et spontané. Elle regarde Madeline, puis Maxime, et voyant le regard perplexe de celui-ci, comprend sa bourde.
Oh, Alice, ne t’en fais pas. À ce niveau-là, ce n’est pas une bourde. C’est une bourdinette, à peine. Qui encore n’était au courant de rien ? Je veux dire, à part Maxime, qui n’avait pas fait le lien ? Il faut lui pardonner aussi, à Maxime. Entre le boulot, son nouveau statut de futur père, sa décision d’aller renouer avec son grand-père – dont il n’a toujours pas informé ses parents, par ailleurs… Il a deux ou trois circonstances atténuantes. Mais il rattrape bien vite son retard, une fois qu’Alice a parlé.
Il n’a pas loupé le regard de sa femme, tiens, tiens, se dit-il, j’ai raté un épisode.
— J’ai comme l’impression d’être le seul à ne pas être au courant, je me trompe ?
Alice pouffe, Madeline sourit, pose la main sur le bras de son mari, et explique d’une voix posée.
— Tout le monde sait. Sauf Élie qui ne sait pas que nous savons, et toi, qui ne sait pas ce qu’il se passe, dit malicieusement Maddy.
— Par conséquent, ma chérie, tout le monde ne sait pas.
— Regardez-le tenter de s’en tirer avec une pirouette, s’exclame Alice en riant.
Alors, Madeline entreprend de détailler la situation, puisque ce secret n’en est plus vraiment un, et elle dit ce qu’elle sait. C’est-à-dire ce que Maryam lui a raconté. Et Max écoute, éberlué.
— Mais je lui avais dit ça comme ça, moi, à Élie, quand j’étais venu le voir… Si j’avais su que c’était Maryam… Je me serais bien gardé de dire quoique ce soit.
— Pourquoi ? Elle aurait bien fini par s’y casser les dents, non ? Réplique Maddy. J’adore ton cousin, mais c’est un tombeur, et autant qu’elle ait mal vite et maintenant, que pendant six mois, après trois ans de relation.
— Non, ce n’est pas ça…, dit Maxime en s’adossant au mur. Élie a désinstallé ses applications de rencontre. Il m’a dit un truc peu compréhensible au sujet de la vacuité des choses de l’amour, ou quelque chose de ce genre, mais je n’aurais jamais fait le rapprochement avec Maryam. Il ne m’en a jamais parlé.
— C’est parce qu’il a promis à Maryam de ne rien dire de leur relation. Elle ne voulait pas que ça se sache…, explique Madeline.
— Qui l’eût cru ? Ponctue Alice. Notre Don Juan préféré en amoureux transi.
Les trois jeunes gens se regardent. Ma parole, c’est bien vrai ce que dit Alice. En recollant les morceaux, il y a de quoi se poser des questions… Et plus que des questions, d’ailleurs. Le problème, c’est que Maryam est convaincue qu’Élie s’est foutu d’elle.
— Et Maryam est encore accrochée, n’est-ce pas ?
— Elle essaye désespérément de se sevrer, tu parles…, soupire Maddy.
— Oh, mais non ! S’exclame Alice. Il ne faut pas qu’elle décroche !
Ah mais ça, si nous pouvions y faire…
— Il faudrait qu’on trouve un moyen pour qu’ils se parlent, tous les deux !
Eh bien ! Elle n’est pas mal celle-là, me faire couper la parole par…
— Mais oui ! Je suis sûre qu’il y a moyen d’y arriver.
— C’est risqué mais pourquoi pas…
Bon, je vois que ces trois-là n’avaient pas besoin de moi. Ainsi va la vie de la conteuse que parfois, ses personnages lui échappent. Surtout quand ils fomentent des plans surexcités, pour que Roméo ne boive pas la potion. Que Jack monte sur la planche, que l’histoire d’amour, pour une fois, se termine bien.
Maxime, Maddy et Alice se regardent, revigorés. Tout n’est pas perdu.
Quand ils vont se coucher, chacun est dans ses pensées. Alice imagine déjà comment faire planter un ascenseur avec les deux à l’intérieur, très drama. Madeline se dit qu’elle peut probablement raisonner Maryam.
Quant à Maxime, il adore son cousin, mais il est fatigué. Et Max, il est fan du ventre de Maddy qui s’arrondit toujours davantage, comme ses seins, ses joues, ses épaules. Il se glisse sous la couette pour rejoindre sa femme et se cale contre elle, s’endormant comme un bienheureux, la main sur le ventre rond. Dans le flou du sommeil qui s’installe, il se rend compte qu’il ferait tout, absolument tout, pour ces deux êtres-là.
Il faut sauver le soldat Charlotte
Charlotte ouvre des yeux embués. Autour d’elle, certains voyageurs commencent à s’activer pour leur journée, qui préparant son sac, ses bagages, qui récupérant son chargeur d’appareil photo de la prise. Elle met un moment à atterrir, à comprendre où elle est.
Les informations lui reviennent toutes d’un seul coup, et elle regarde le stylo, près du carnet ouvert. Elle s’est endormie en écrivant, la veille au soir. Elle était fatiguée et elle avait un peu trop bu. En relisant sa dernière phrase, inachevée, elle s’aperçoit qu’elle était restée lucide.
Je n’arrive pas à imaginer que
De là, la fin de la lettre « e » se perd dans les limbes du sommeil ; on devine clairement la main tenant le crayon ramollir, puis s’effondrer. Le carnet est resté ouvert toute la nuit, et Charlotte a dû mal dormir : elle a l’épaule engourdie. Prudemment, elle s’étire : elle est dans le lit superposé du haut, et elle a du mal à avoir une totale confiance dans le vieux cadre en métal.
Pourtant, elle le sait, tout ici est conçu pour être antisismique. Elle se redresse, les genoux repliés sous le menton, le drap glissant doucement. Et puis elle pousse un soupir tellement long qu’une des filles se retourne, surprise et gênée. Charlotte passe la main dans ses cheveux, regarde encore une fois sa dernière phrase.
Non, elle n’arrive pas à imaginer qu’elle est venue pour rien. Ce n’est tout simplement pas croyable. Cela ne rentre pas dans son champ des possibles. Elle repart dans tellement peu de temps, et elle sait qu’elle n’aura plus l’occasion de revoir Sally, car elle part pour un séminaire de peinture à Tokyo, le jour même. Elle n’a plus qu’à compter sur ses messages, et sur Lola.
Elle a bien l’impression que la jeune fille aux cheveux platines a un peu pris son parti, comprenant ce qui se joue. Et encore si elles savaient vraiment tout… Charlotte est sûre que Sally ni Lola ne savent ce qui lui est arrivé. Est-elle blessée, voire déçue que sa petite sœur ne lui demande même pas comment va son fils ? Oui, évidemment.
Mais elle cherche à atténuer la boule dans sa gorge, en se disant qu’à vingt-et-un ans, on ne pense pas à ce genre de choses, que Sally a l’air d’avoir la tête pleine de préoccupations, et Charlotte se demande de quel genre elles sont. Elle a bien compris qu’il s’était passé quelque chose. Elle a essayé de retrouver les morceaux du puzzle, ça fait une semaine qu’elle tente, presque en vain. Sa sœur a changé, et outre l’adolescence, la fin de ce passage à l’âge adulte, elle ne s’explique pas tout. Et puis, il y a certaines choses qui ne se demandent pas.
Elle regrette de n’avoir pas réussi à récupérer la confiance de Sally. Elle a eu beau invoquer les souvenirs d’enfance, la maison familiale dans laquelle elles jouaient, les parties de Cluedo endiablées avec les parents, elle a fini par arrêter d’insister. Dès qu’elle mentionnait leurs parents, Sally semblait se refermer dans sa coquille plus encore.
Charlotte ne va pas s’avouer vaincue pour autant, ne vous inquiétez pas. Et elle a raison, elle a un allié de choix : Lola, qui sait tout de l’histoire de Sally, commence à ne plus la comprendre non plus. Elle voit Charlotte, et reconnaît la jeune femme qu’elle a toujours connu depuis l’époque où elle n’était encore qu’amie avec Sally. Gentille, allante, drôle, et pas méchante pour un sou. Sans doute maladroite et heurtée par la différence d’âge qui a creusé un fossé presque générationnel entre elles. Mais Lola en a marre de voir Sally tourner en rond.
Les malheurs de Sally
D’ailleurs, survolons la ville, jusqu’à l’appartement cosy, propre et blanc, à deux kilomètres de là, à vol d’oiseau.
Sally a mal dormi : elle ne tient pas l’alcool. Et Lola a mal dormi aussi : elle ne tient pas la tension. C’est la gueule enfarinée que se lèvent les deux jeunes femmes ; Sally, les yeux rivés sur ses panards et Lola se demandant comment elle va réussir à briser la glace.
Elle a promis à Charlotte qu’elle obtiendrait que Sally vienne en France pour la naissance du bébé de Madeline. Maintenant qu’elle a l’autre version, elle commence à se poser des questions. Sally lui a présenté Charlotte comme un monstre d’égoïsme et Madeline comme une coincée distante. Son petit doigt lui souffle depuis quelques jours, que ce n’était pas forcément une bonne idée de prendre pour argent comptant ce que lui a dit Sally à propos de sa famille.
Que penser de ce qu’elle dit de ses parents ? Lola a toujours trouvé cette histoire emberlificotée, de la manière dont la présente Sally. Et puis quoi, si Anne a eu une relation en dehors de son mariage ? Lola se dit que ce ne sont pas leurs affaires. Mais elle connaît l’immense idée que Sally se fait de l’amour, et c’est en partie ce qui lui plaît tant chez elle.
Elle n’a jamais envisagé, jusqu’à hier soir, que ça puisse être un défaut. Mais la belle Lola se rend à l’évidence : quelque chose cloche au royaume de son amour, et elle commence à se dire que les torts sont peut-être – peut-être – partagés. Rien qu’un peu…
Elle n’a même pas encore parlé à Sally qu’elle prend déjà des pincettes dans ses propres pensées. Comment aborder le sujet ? Elle avise la jeune femme aux cheveux auburn, assise à la table devant son thé et l’embrasse sur la joue.
— Sincère tendresse ou Judas ? Lance Sally, en inclinant son visage vers celui de Lola.
Lola ne sait pas si elle doit rire, pleurer ou désespérer. Ça va être sympa, cette discussion.
— Tendresse sincère, ma jolie, mais il faut qu’on parle.
Oh ce soupir qu’elle vient de pousser, Sally !
— Vas-y, je suis prête.
— Prête à m’écouter ou prête à m’expliquer par A + B que j’ai tort ?
Sally ne dit rien, Lola s’assied en face, et soutient le regard de sa petite amie. Farouche, hostile, acculée.
— Tu vas y aller, en France ?
Sally s’appuye sur son dossier, sans baisser les yeux. Une authentique sale gosse, pense Lola, un sourire en coin.
— Je l’ai dit hier : je ne sais pas, je dois y réfléchir.
— Tu ne penses pas que c’est une belle occasion qui s’offre à toi, pour renouer avec ta famille ? Tente Lola.
— Ma famille ? Tu sais mieux que personne à quel point ils m’ont déçus, tous. À ne même pas remarquer quand j’étais au fond du trou… Pourquoi tu crois que je suis partie, et que personne ne sait pour toi et moi ?
— Sally, Charlotte sait. Elle a deviné.
Sally reste un moment interdite, puis se reprend.
— Et alors ? Fait-elle de mauvaise foi.
— J’ai l’impression que…, commence Lola, pas bien sûre de là où elle va avec cette phrase. Que c’est moins pire que ce que tu t’imagines.
Pas mal rattrapé, non ? Voyons ce qu’en pense Sally.
— Ce que je m’imagine ? Tu penses que j’imagine des choses ? Ils ont été en-dessous de tout avec moi, et sans toi, je…
— Je sais, mon cœur, je sais, tempère Lola. Je n’ai pas dit ça, mais parfois, les gens sont débordés par leur propre vie, et ils n’ont probablement rien remarqué quand ça a dérapé avec William, tu sais. Moi je l’ai su parce que tu m’en parlais.
— Ils auraient dû savoir, putain. On vivait ensemble.
Lola soupire. Elle ne s’explique pas que la famille de Sally n’ait pas remarqué que sa relation avec son ex-petit ami était nocive, et elle sait à quel point Sally s’était de toute façon renfermée dans sa bulle à ce moment-là, ne parlant plus à personne. Sauf à sa meilleure amie.
— Tu crois pas qu’il est temps de crever l’abcès ? Tu retiens trop de choses, j’ai peur pour toi, Sally.
Elle se lève, range sa tasse vide dans le lave-vaisselle.
— Je dois y aller, si je veux pas rater mon train.
— Sally…, supplie Lola.
Elle se retourne, les yeux rivés au sol d’abord, puis darde un regard brûlant dans les yeux noirs de Lola. Qui en pleurerait presque : elle déteste l’idée que Sally parte pour plusieurs jours, alors qu’elles sont fâchées.
— De toutes les personnes que je connais, tu n’étais pas celle que j’imaginais me trahir, dit Sally d’un ton péremptoire, puis elle ajoute la voix tremblante : Ce n’est pas si mal, ces quelques jours à Tokyo. Je vais pouvoir réfléchir.
— Sally ! S’exclame Lola en se relevant brusquement en s’élançant vers elle. Je t’aime, tu le sais, et si tu ne le sais plus, je te le redis : je t’aime, plus que tout. C’est pour ça que je te parle de tout ça, parce que je te vois t’enfoncer et ça me fait peur.
Elle pose sa main sur son bras, les larmes aux yeux. Sally détourne le regard, Lola sait qu’elle touche au bon endroit.
— Je serais toujours là. Tu ne pourras pas fuir éternellement, Sally. Et s’il faut, je retournerai en France avec toi, je me débrouillerai avec le boulot.
Quand Sally referme la porte derrière elle, pour aller prendre son train, elle ressent une confusion qu’elle pensait ne plus jamais ressentir. Cet espèce de mélange épais, tout droit sorti de ses interrogations d’adolescente.
En sortant de l’immeuble, le ciel gris répond à son humeur maussade. Elle prend sur elle pour Lola. Rien ne s’est passé comme elle l’avait prévu. Elle voulait tout balancer à Charlotte. Mais sa sœur a été surprenante. Gentille, complice, et elle faisait tellement d’efforts que Sally avait presque de la peine pour elle. Presque.
Et elle n’a pas voulu faire de mal à Lola, qui a été très présente et qui, elle le sait, a arrangé cette rencontre et a adouci de beaucoup les choses.
Elle secoue la tête en rentrant dans le métro, mille émotions se mêlant dans son ventre. Elle regarde ses pompes, elle a appris à danser parmi la foule nippone sans jamais percuter personne, frôlant à peine ses congénères en costume.
Ah, ils veulent qu’elle vienne en France ? Qu’elle participe à ces simagrées autour du nouveau-né d’une sœur qu’elle ne connaît plus ? – À qui la faute ? Lui susurre une petite voix qu’elle n’avait pas entendu depuis longtemps. Elle la chasse comme elle peut.
Alors, qu’ils se préparent, les autres… Car elle va venir. C’est décidé. Les dents serrées, les mâchoires contractées, elle se jure qu’elle s’en tiendra à son plan.
L’impatience de la Reine Anne
« Hello. Je prends l’avion dans une heure. Bilan très mitigé en termes de Sally, plutôt sympa niveau tourisme. Je te raconterai quand j’arriverai, si j’en ai le courage. »
Cela fait trois fois qu’Anne relit le message de Charlotte. Comment ça, bilan mitigé ? Elle aurait bien répondu, mais elle a vu le message plusieurs heures après qu’il ait été envoyé : Charlotte est à dix mille mètres d’altitude. La réception n’y est pas excellente, pour les smartphones…
Anne secoue la tête pour chasser ses pensées, ce sujet, ses doutes, et retrace le fil de sa journée avec Madeline. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas pu profiter d’un bon moment avec sa fille. Pour une fois, Anne lui a payé un spa, spécial pour les femmes enceintes. Des soins faits pour elles, avec des produits faits pour elles, et leurs accompagnatrices – souvent des femmes, souvent les mères ou les sœurs, parfois aussi les meilleures amies.
Anne a adoré cette journée, ternie seulement ce soir, par le message de Charlotte qui a renvoyé directement en marche les rouages de l’angoisse dans son cerveau.
Pourtant, elle a ri, elle a transmis des choses à sa fille sur la grossesse et l’accouchement. Madeline a beaucoup ri aussi, devant l’honnêteté sans filtre de sa mère sur la péridurale, la rétention d’eau, les vergetures… Elle a été très attentive en l’écoutant la prévenir de ne pas accepter le point du mari, et Anne est heureuse d’avoir pu partager tout cela avec sa fille.
Maddy lui a semblé fatiguée. Son travail au cabinet d’avocats la stresse. Anne a l’impression que sa fille s’est plantée de chemin, mais elle s’est bien gardée de jamais le lui dire. Ce n’est pas le moment d’y penser, avec le bébé qui arrive. Elle entre dans son quatrième mois, et tout se passe à merveille. Évidemment, elles ont parlé de Charlotte.
— J’ai peur, parfois, Maman. Et Maxime aussi, par rapport à… à ce qui est arrivé à Charlotte. Et si c’était familial ?
Anne a soupiré et répondu en prenant la main de sa fille, pendant leur massage des pieds.
— Ma puce, ce bébé avait une malformation congénitale qui n’arrive que dans 0.0001% des cas. Ce n’était même pas héréditaire, et si ça l’était, ce petit avait quand-même 50% de l’ADN de son père, d’accord ?
— Je sais, Maman, a dit Madeline, d’une voix brisée par l’émotion. Mais je peux pas m’en empêcher…
Anne n’a rien dit de plus, elle a serré la main de sa fille, caressant de son pouce la peau douce de son enfant à elle. Le sujet est encore douloureux pour tout le monde, et Anne n’a pas du quoi dire pour réconforter Maddy. Sans doute, a-t-elle pensé plus tard, n’y avait-il rien à dire.
Le parti pris d’Anne dans ces cas-là, c’est de ne rien dire dont elle ne soit sûre à cent pour cent. Elle ne peut pas lui promettre qu’elle mènera sa grossesse à terme, alors elle ne lui promet pas. Elle ne peut pas lui promettre que tout va bien se passer. Elle aimerait ! Oh qu’elle aimerait. Mais elle n’a pas ce pouvoir. Elle peut simplement lui promettre d’être là. Et elle l’est.
Charlotte arrivant très tôt le lendemain, Anne va être obligée d’aller se coucher sur sa faim. D’attendre de voir sa fille pour en avoir le cœur net. Bim, la lourde pierre de l’angoisse qui tombe dans son ventre. Elle va aller essayer de l’enfumer avec ses clopes : peut-être que, dans un monde bizarre, ça fonctionne ?
Lola l’a eue
L’aéroport Charles de Gaulle est plutôt calme, à huit heures du matin. Charlotte a à peine pu dormir dans l’avion, et le décalage horaire se fait déjà sentir. Dire qu’elle va devoir s’enquiller une nouvelle journée de suite, la même que celle d’hier – qui par conséquent, est redevenu aujourd’hui – elle soupire à l’idée même de commencer à y penser. Et elle n’a pas le droit de dormir, sous peine de passer une jolie nuit blanche.
Alors qu’elle marche dans les couloirs du terminal, son téléphone se remet en route, et sonne plusieurs fois. Des messages. Plein de messages.
De Lola.
De sa mère.
De Sally.
De Sally ? Attendez voir, ce n’est pas habituel ça. C’est presque le premier qu’elle a reçu, un peu après son décollage, et elle l’ouvre tout de suite, s’arrêtant net dans le corridor, provoquant une cascade de jurons de l’homme qui arrivait un peu trop vite derrière elle. Insensible à cela, Charlotte lit le message, concentrée.
« T’as gagné. Je viens. Par contre, je compte sur toi pour ne rien dire, au sujet de Lola et moi. Je m’en occuperai en septembre. Merci d’être venue. Sally. »
Elle vient ! Et elle dit merci ! Charlotte ouvre des yeux aussi ronds que ceux d’une chouette sur l’écran de son smartphone, tant et si bien qu’ils commencent à la piquer. Elle cligne des paupières, et elle a envie de sauter partout.
Elle ne le fait pas, mais quand elle repart, quelque chose dans sa démarche est plus chaloupé, plus rebondissant. Voilà, c’est fait. Tu n’y es pas allée pour rien, Charlotte. Tu n’y serais de toute façon pas allée pour rien : qu’en est-il des pagodes, des fleuves et des lacs, des châteaux, des arbres et des onsen ?
Dans le lot, elle a vu que les autres messages venaient de sa mère, qui s’inquiète, et d’Élie, qui lui rappelle avec une petite blague un peu faible, qu’ils partent le weekend d’après pour l’Auvergne, dans une région dont elle n’a jamais entendu parler avant : le Livradois.
Elle a du mal à y croire, encore. En remettant son téléphone dans son sac à main, ses doigts effleurent le carnet turquoise, aux bords argentés. Oui, elle va avoir des choses, à y rajouter, là-dedans.