Il était une fois, dans le brouillard

Notre histoire commence par un matin brumeux. D’un brouillard si épais, croyez-moi, qu’une poule n’y retrouverait pas ses poussins. Le vent est totalement tombé, si bien que le bassin parisien tout entier est plongé dans un nuage cotonneux, gris, d’où émane une lumière presque irréelle. J’aime planer en hauteur, mais si vous souhaitez y voir plus clair, il va falloir que nous nous rapprochions, alors allons-y !

Là, vous voyez ? On aperçoit les toits des immeubles de Paris, mélange d’ardoise et de cubes clairs. Il nous faut descendre un peu plus au Sud, s’éloigner de la sinueuse Seine et de ses quais empierrés ; j’ai d’ailleurs bien envie de vous faire survoler le Panthéon et sa Rotonde. Rien de tel qu’un petit détour dans Paris, non ?

Et là, vous voyez ? C’est par là que l’on va, la grande tour Montparnasse qui sort à peine de la brume. D’en bas, je vous parie qu’on n’en voit pas la tête !

Passons le boulevard périphérique où, plus ou moins prudemment, les Parisiens enfilent leurs voitures en une longue file indienne, dont les bruits de moteur sont étouffés par le brouillard épais.

Nous y sommes presque : Montrouge, petite banlieue plutôt chic, bordée par le grand cimetière de Bagneux qui fait office de parc arboré. Même s’il est vrai qu’à cette saison, les arbres affichent de longues branches décharnées sur lesquelles croassent, cocasses, quelques gros corbeaux dont les plumes sont gonflées par le froid. Ils regardent, un peu moqueurs, les humains dans ce coin-là du monde, à cinq heures du matin ; tandis que dans l’autre monde, au-dessus duquel ils se tiennent, le brouillard ne gêne personne.

Et si nous descendions un peu plus, délaissant les grands oiseaux noirs, pour nous rapprocher doucement d’une villa qui borde le cimetière ? Là dans l’impasse, si vous regardez bien parmi les toits sombres qui tous se ressemblent, vous en verrez un qui semble se détacher des autres. Je vous assure, comme si une lueur spéciale l’enveloppait.

Au rez-de-chaussée, perçant le brouillard, la fraise d’une cigarette roulée rougeoie. Anne recrache sa bouffée, incapable de la distinguer dans l’humidité ambiante de ce froid matin de janvier. Mais Anne n’est pas frileuse, et elle sourit à l’hiver. Derrière elle, la porte de la cuisine s’ouvre pour laisser passer Marc, qui sourit en regardant la taille marquée et les belles hanches larges de sa femme.

Anne sourit plus largement, car elle a deviné la présence de son mari dans son dos, et elle se prépare déjà à la traditionnelle pique du matin. Qui vient, sans frémir :

— Mon amour, tes habitudes lugubres nous glacent, dit Marc en préparant le café.

— Allons, Marc, il faut bien que je salue mes macchabées ! Répond, joueuse, l’impétueuse femme de quarante-huit ans.

Marc sourit, cette danse leur est familière depuis le lycée, où ils se sont connus. De manière quelque peu fracassante, puisqu’Anne est tombée enceinte de leur premier écart. Mais malgré ses seize ans à elle, ses dix-sept ans à lui, aucun n’a jamais douté une seule seconde que leur histoire allait fonctionner. Trente-deux ans et trois filles plus tard, la vie leur a donné raison.

— Tu l’as entendue, cette nuit ? Demande-t-il, l’air soudain soucieux.

Anne écrase sa cigarette dans le cendrier du rebord de la fenêtre et se retourne vers son mari.

— Oui… Ça faisait longtemps.

Elle, c’est Charlotte, leur fille aînée. Elle compose, avec sa benjamine, Sally, le plus gros de leurs soucis de parents. Le visage d’Anne s’assombrit, penser à cela lui fend le cœur. Charlotte est le fruit de son amour de jeunesse, sa meilleure amie et une femme qu’elle a toujours beaucoup admiré.

Sérieuse et fantasque, drôle et bosseuse, on ne peut pas dire que Charlotte ait beaucoup inquiété ses parents en grandissant ! Comment dit-on, déjà… Qu’ils ont mangé leur pain blanc ? Ah, ça, oui… Surtout quand Sally est passée à l’adolescence ! Charlotte et Madeline avaient été si mignonnes !

Mais… Je m’égare, et personne ne me dit rien ? Revenons à nos moutons.

Un peu de sérieux, que diable. D’autant que cette histoire-là, mes chères lectrices, mes chers lecteurs, n’est pas bien drôle. Non, plutôt tragique. Car si Anne et Marc s’inquiètent, c’est parce que leur aînée est revenue vivre chez eux, il y a neuf mois environ.

Charlotte était une femme forte, entrepreneuse, à qui la vie souriait. Mariée et heureuse, elle est tombée enceinte. Mais parce que la vie, parfois, est une belle ordure, Charlotte a perdu le bébé à six mois de grossesse, et son gentil mari est parti. Charlotte s’est retrouvée au fond du trou, et il aura fallu tout l’amour et la persévérance de ses parents et de sa famille pour la convaincre de déménager dans la maison familiale, à Montrouge.

Charlotte a tout traversé, mais encore parfois la nuit, elle se réveille en sursaut et en larmes. C’est ce qui a réveillé ses parents, quelques heures plus tôt. Elle s’en veut car elle sait que cela les dérange, leurs chambres ne sont pas si éloignées l’une de l’autre et l’isolation se fait vieille, comme la maison.

Allongée sur son lit, les jambes repliées en tailleur, Charlotte regarde le plafond blanc qui porte encore les marques de la pâte fixante qui a servi, plus de quinze ans auparavant, à afficher les grands posters de ses idoles : Brad Pitt, Nirvana, et… Britney Spears, au grand désespoir de sa mère, rockeuse devant l’éternel.

En abaissant le regard autant qu’elle le peut, elle aperçoit encore vaguement les traces des griffes du chat de la famille, Anselme, parti chier sous tous les lits du Paradis des chats, se dit-elle avec un faible sourire. Un sacré numéro, celui-là. De chat en aiguilles, Charlotte retrace le fil des souvenirs d’une enfance heureuse.

Et se pose toujours la même question, depuis neuf mois : comment tout était-il à ce point parti en soupière ? Charlotte soupire. Elle a posé la même question à sa psychologue, qui lui a répondu par une autre question :

— De quoi avez-vous besoin pour refaire une bonne soupe, Charlotte ?

Restée muette devant la petite femme très brune, Charlotte cherche encore la réponse à cette question. Plus précisément, elle cherche de quels ingrédients elle a besoin. De l’amour ? Se demande-t-elle ce matin. Ras-le-bol de tomber dans les clichés, non ? Ne serait-il pas temps de changer un peu, ma vieille ?

Jusqu’ici, t’as tout bien suivi, pense-t-elle. Comme dans la chanson, t’as eu du succès dans tes affaires, t’as eu du succès dans tes amours, et ton secrétaire s’est barré à la première intempérie, le salaud. Il en faut, du second degré, pour encaisser ce foutu pavé, pour avaler cette saleté de couleuvre. On rebondit comment, après un truc pareil ?

La révélation de Madeline

— Madeline, belle Madeline enchanteresse, dis-moi que la maison de Mad-Max possède un tire-bouchon, déclame Élie, toujours très théâtral.

Madeline lève les yeux au ciel, un demi-sourire amusé sur le visage. C’est souvent la réaction que provoque le cousin de Maxime, son mari. Fantasque, fanfaron et virevolté, le jeune homme se déplace souplement dans la cuisine, esquivant les manches des outils qui dépassent encore des étagères, témoins d’un emménagement récent.

Les yeux verts pâles, la peau mate et un sourire dévastateur, Madeline l’adore mais elle plaint la fille qui en tombera amoureuse. Élie est aussi brillant que volatile. Il se saisit du tire-bouchon que lui tend la jeune femme à bout de bras, et ouvre la bouteille de vin rouge qui émet le « pop » caractéristique. Madeline hume l’odeur délicate du vin des pays de Loire qu’a acheté Maxime, en soupirant, masquant mal son sourire.

Ils se sont promis d’attendre le troisième mois pour annoncer leur grossesse. Malgré ça, ils savent qu’ils ne sont pas à l’abri, mais Madeline secoue la tête : elle refuse d’y penser. Madeline ne pense pas aux choses qui l’encombrent, aux choses qui la font souffrir. Elle trace sa route, sérieuse, imperturbable, discrète.

Ce soir, ils fêtent leur nouvel appartement, et la presque fin des travaux. Ils invitent les personnes qui les ont le plus aidés : Élie, donc, le cousin et meilleur ami de Maxime, Maryam, la meilleure amie de Madeline, et Charlotte, sa sœur aînée.

Madeline sourit en entendant la voix enjouée de son amie, et la voix grave, rocailleuse de sa sœur. Les blagues fusent, les réparties sont piquantes, et la délicate Madeline se délecte du spectacle, comme toujours.

— Bien, passons aux choses sérieuses, s’exclame Élie. Qu’avez-vous dans vos besaces, les filles ?

— Du sancerre et de l’époisses, répond Charlotte du tac-au-tac, devant le faciès horrifié d’Élie.

S’en suit de l’éclat de rire de Maxime, qui connaît l’aversion de son cousin pour tout ce qui sent trop fort à table.

— Merci d’avoir pensé à ceux qui ont du goût, dit-il en adressant un clin d’œil complice à sa belle-sœur.

— Note que je n’ai pas dit que tu n’avais pas de goût, lance Élie. Juste suggéré que tu avais des goûts de fond de poubelle.

— Tu ne sais pas ce que tu rates, fait Maxime en levant les yeux au ciel. Mais ça en fera plus pour nous, ajoute-t-il avec un regard gourmand.

Sur ces entre-faits, Madeline s’empresse d’aller saluer chaleureusement Maryam et Charlotte, et observe sa sœur avec une question dans le regard : comment va-t-elle, ce soir ?

Depuis neuf mois, Maxime et elle ont été très présents. Non seulement parce que Maxime est un ami de lycée de Charlotte, mais aussi parce que malgré la difficulté, la lourdeur de la tâche, Madeline a un code d’honneur strict pour sa famille de sang. Alors, elle a géré sa propre douleur et celle, incommensurable, de sa grande sœur.

— Alors petite Maddy, c’est la fête ou quoi ?

— On n’est pas fâché d’avoir terminé, je t’avoue, répond Madeline en embrassant sa sœur.

En réalité, ils n’ont pas tout à fait terminé… Mais cela, Madeline ne peut pas le dire ! Elle se mord la lèvre pour se forcer au silence. Elle est à la fois comblée de bonheur et craint la réaction de Charlotte. À tort, lui a dit Maxime l’autre soir, mais elle n’arrive pas à s’en persuader.

— Au fait, tu as eu des nouvelles d’Alice, dernièrement ? Demande Madeline, innocemment, à Maryam.

— Vaguement, tu sais comme elle est.

Et alors que les filles enchaînent sur leur amie commune, Alice, partie habiter à Lille, et que les garçons parlent des travaux, Charlotte observe. Maxime, son ami de lycée, a comme toujours, les traits détendus. Mais Madeline, quelque chose se passe avec Maddy. Alors, Charlotte observe encore, de plus près. Elle s’excuse en se levant de table pour aller s’allumer une cigarette à la fenêtre, comme elle le fait toujours, et remarque que sa sœur change de place.

Allez, Charlotte, percute ! Regarde-la, elle n’a pas pris une goutte de vin, ni de fromage, alors qu’elle adore ça. Bon dieu. Charlotte écrase sa clope, et se retourne vers la tablée.

— Madeline, tu peux venir me voir à la cuisine ?

La jeune femme relève un regard dubitatif vers sa sœur, puis l’angoisse lui étreint les entrailles. Que se passe-t-il ? Pourtant, elle avait l’air détendue, ce soir, se dit Madeline. Mais elle reste impassible et suit Charlotte dans la cuisine.

Qui lui saute dessus, ne lui laissant pas le temps d’angoisser davantage, ni de parler d’ailleurs.

— Maddy, tu es enceinte.

Aucun doute sur le fait que ce n’était pas une question.

— Oh, je t’en prie, ne fais pas cette tête, je suis pas en sucre, je vais pas te claquer dans les doigts. T’es ma petite sœur, je suis heureuse pour toi, dit Charlotte en souriant, les yeux humides.

Alors, la réservée Madeline tombe dans les bras de sa sœur, se reprenant bien vite.

— On ne voulait pas l’annoncer trop vite, j’ai reçu la confirmation il y a trois jours.

Charlotte hoche la tête, compréhensive. Il se passe quelque chose dans son ventre et dans son cœur, une chose à laquelle elle ne s’attendait pas. Mais la vague d’émotion est telle qu’elle n’en montre rien et laisse Madeline revenir vers le salon pour annoncer officieusement sa grossesse à ces quelques privilégiés.

Elle se sent soulagée, Madeline, c’était compliqué de garder cela pour elle.

— Maman est au courant ? Demande Charlotte.

— Oui, dit Madeline avec un air un peu désolé sur le visage.

— Je comprends.

Mais en réalité, Charlotte ne comprend pas. Pourquoi sa petite sœur comptait-elle lui cacher sa grossesse ? Elle soupire, en regardant furtivement le ventre de Madeline, et en posant machinalement la main sur le sien. Quelque chose a changé.

Charlotte et la Couverture des 100 Vœux

En rentrant de Juvisy à Montrouge, Charlotte se plante trois fois de sortie, se retrouve dans le mauvais sens, et emboutit presque sa voiture dans celle de ses parents, en essayant de se garer.

Cette nuit, elle ne dormira pas, mais ce ne sera pas pour les mêmes raisons que… celles qui l’agitent depuis neuf mois. Elle rentre, virevoltée, et croise sa mère qui fume, la fenêtre de la cuisine grande ouverte, gelant la pièce comme à son habitude.

Anne se retourne, elle connaît sa fille par cœur : quelque chose est en train de se passer.

— Madeline est enceinte, Maman.

Qu’elle l’ait deviné ou senti : elle sait. Ils craignaient tellement sa réaction, tous, qu’ils sont bien surpris de voir qu’elle jubile presque. Anne se méfie. Elle sait ce que peut cacher ce type d’excitation. Elle ne dit rien, attendant la suite, mais Charlotte s’allume une cigarette, rejoignant sa mère à la fenêtre de la cuisine.

— Tu papotes toujours avec tes fantômes ? Qu’est-ce qu’ils te racontent de beau, ce soir ?

— Ils ont froid, sourit Anne. Et ils veulent écouter Led Zeppelin.

Charlotte rigole légèrement et Anne est presque surprise. Non, sa fille n’a pas l’air d’être au bord de la crise de nerfs.

— Ça te travaille ? Demande Anne, doucement.

Toujours silencieuse, Charlotte prend une bouffée de sa cigarette, l’expire et regarde sa mère, le regard brillant.

— Un peu, mais pas comme tu l’imagines, je crois.

— Tu veux en parler ?

— Ce bébé, je n’ai pas envie qu’il arrive dans une famille où l’on fait semblant que tout va bien.

Anne écoute, laisse parler sa fille.

— Il sera le premier né de sa génération. Quel exemple on va lui donner ?

Anne sait à quoi Charlotte fait référence. Du moins le croit-elle.

— Tu parles de ce qu’il s’est passé avec Sally ?

— Oui ! Mais pas que. Sally est partie au Japon il y a un an et demi, et aux dernières nouvelles, personne ne sait pourquoi. Papa est horriblement distant et malheureux de la situation. Tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude si tu crois que je n’ai rien remarqué.

Anne soupire dans un demi-sourire triste : elle admire la perspicacité de sa fille. Elle a toujours été assez surprise du tempérament de ses filles, si différentes d’elle. Anne est un feu-follet rock’n’roll, dont la grossesse précoce n’a été aucunement un frein pour courir les festivals, embarquant Charlotte, puis Madeline, sous l’œil protecteur de leur père qui les accompagnaient toujours. Peut-être que c’était de lui, après tout, qu’elles tenaient ce tempérament posé et calme.

— Qu’est-ce que tu veux y faire. Sally a pris sa décision, elle est jeune mais c’est une adulte.

— Je n’ai pas ton détachement, lance Charlotte.

Cette fois, c’est Anne qui reste silencieuse. Elle et sa fille aînée ont toujours eu une relation d’amitié ; c’est qu’elle était si jeune, que Charlotte a parfois été presque plus mature que sa mère. Alors, Anne l’écoute toujours, sans se vexer, calme et admirative de la force mentale de sa fille.

Charlotte reprend une bouffée, et expire longuement, frissonnant à peine dans la nuit froide. Mère et fille partagent leur absence de sensibilité au froid.

— J’ai neuf mois pour ramener Sally et rassembler la famille autour de la naissance du bébé de Madeline et Maxime, annonce Charlotte, très décidée.

Anne prend son temps avant de parler, elle sait qu’elle ne fera pas changer sa fille d’avis. Elle n’a jamais su pourquoi Sally était partie. Elle sait juste qu’elle refuse absolument de leur reparler, et qu’elle vit sa vie au Japon, plutôt bien d’après les posts Facebook de Lola, la meilleure amie de Sally, partie avec elle.

Anne n’arrive pas à être inquiète : elle a confiance, en sa fille et en la vie, pour qu’elle revienne un jour. Et elle est prête à entendre ses explications, tout comme elle s’attend à ce qu’il n’y en ait pas. Sally a toujours été une fille indépendante et intrépide.

— Tu comptes t’y prendre comment ? Demande-t-elle.

— Je vais y aller.

Anne ouvre des grands yeux. Il faut la comprendre : cela fait neuf mois qu’elle voit sa fille dépérir, sans savoir quoi faire. Elle ouvre la bouche pour parler mais se ravise, et vérifie quelque chose sur son téléphone portable.

— Tiens, j’ai entendu parler d’un truc qui peut t’intéresser. Je viens de vérifier, ça s’appelle la Couverture des 100 Vœux. Je te l’ai envoyé par message.

Ça branche bien Charlotte, cette idée. Elle a les yeux qui s’allument encore davantage, ravie de constater que sa mère est prête à l’aider.

— Je consulterai ça en me couchant. C’est quoi ?

— Ça va te plaire, je pense. C’est un petit atelier dans la région, qui a repris une tradition chinoise de couverture patchwork pour la naissance des bébés. Chaque personne de la famille ou des amis choisit un tissu, et ils sont tous cousus ensemble pour former une couverture complète pour le bébé. Ensuite, chaque personne écrit un mot pour l’enfant à naître.

— Et il garde ça toute sa vie. C’est super, ce truc. C’est vraiment super, ajoute-t-elle, pensive, un sourire dessiné sur ses lèvres. C’est parfait, même.

Anne regarde sa fille, trop heureuse de voir ce reflet dans son regard, ce sourire qui allume son visage, comme quand elle était petite, et qu’elle était incapable de cacher la surprise qu’elle préparait. Cet espèce de sourire de connivence avec elle-même, et son esprit qui tourne pour trouver la meilleure solution.

Et vous devinez peut-être ce que Charlotte va faire, toute la nuit ? Et toute la journée du lendemain ? Elle va chercher elle va surfer sur internet, Charlotte. Led Zeppelin dans les oreilles, car parfois, les vivants aussi ont envie d’écouter la voix de Robert Plant.

Un si petit message

Pas bien loin dans le bassin parisien, à Villejuif, Marie-Ange lit une seconde fois le message d’Anne, sa fille. Tous les soirs depuis neuf mois, mère et fille se tiennent au courant et se rassurent comme elles peuvent, l’une l’autre, malgré leurs différences. Ainsi, Charlotte veut partir à la rencontre de Sally, au Japon. Marie-Ange, bien décidée, se retourne et malgré l’heure, rallume la lumière dans le bureau, soulève l’écran de l’ordinateur, et ouvre sa boîte mail.

Alerté par le bruit, Peter, son mari, de l’autre côté du mur, repose son livre ouvert sur ses genoux. Il connaît sa femme, et il sait que c’est l’heure où elle reçoit les nouvelles de leur fille. Lentement, il replace ses lunettes sur son nez, et attend.

Marie-Ange se dépêche, elle n’a qu’un seul message à envoyer.

« Ma petite Sally,

L’heure de la réconciliation est peut-être venue. Du moins je te le souhaite. Ta sœur Charlotte va partir à ta recherche, et je t’en prie, donne-lui une chance.

Ta mamie qui t’aime »

Puis, doucement, Marie-Ange referme le clapet de l’ordinateur et ouvre la porte de la chambre. Peter la regarde, une question silencieuse dans les yeux.

— Charlotte va mieux, dit-elle en se couchant. Elle veut ramener Sally.

D’un mouvement de tête, Peter approuve, embrasse sa femme sur la joue, et éteint sa lumière. Pour la première fois depuis deux ans, ils vont un peu mieux dormir.