Quelques temps de quiétude
Tout près de Paris, il y a une petite ville, Montrouge. Dans cette petite ville, il y a un grand cimetière. Et face à ce grand cimetière, il y a la fenêtre d’une maison. Derrière le cadre en bois repeint l’an passé en blanc ivoire, adossée, une femme fume. Elle porte bien sa quarantaine très entamée, la lèvre ourlée et une grâce certaine dans ses gestes. Mais il y a comme une lueur dans son regard, le reflet d’un souci.
Et non pas la jolie fleur orange, non. Car Anne s’inquiète, mes amis. Elle s’inquiète de ce que l’on est en juillet, et que Sally n’a pas redonné de nouvelles à Charlotte depuis son voyage au Japon. Une main posée sur son ventre, comme pour faire taire l’angoisse qui l’étreint, l’autre tenant la cigarette du bout des doigts, elle soupire la fumée qui s’élève en volutes grises.
Sa fille aînée est persuadée que sa petite sœur ne se défilera pas, et qu’elle tiendra sa promesse de venir en France pour la naissance du bébé de leur sœur, Madeline. Anne a regardé ses trois filles se débattre avec leurs vies, puis ses deux filles, la benjamine ne lui laissant plus accès à rien, pour la raison qu’elle a appris quelques mois auparavant.
Nouveau soupir, qui laisse s’échapper la fumée : la crainte. Anne ne sait pas ce qui serait le pire, que Sally vienne, ou qu’elle ne vienne pas. Elle redoute les deux possibilités : elle sait qu’au bout de chacune d’elles, une souffrance l’attend.
Une souffrance, mais Anne, il y a tout de même une possible résolution au bout de l’une d’elle, tu ne crois pas ?
C’est une petite voix qu’elle connaît bien, qui murmure en elle. Elle voudrait l’écouter, mais elle a l’impression que ces quelques mois sont passés dans un calme apparent, celui-là même qui cache la tension céleste du calme avant la tempête.
Soudain, la porte d’entrée se referme ; Anne sursaute, elle ne l’a pas entendue s’ouvrir. Un coup d’œil à sa montre lui apprend que c’est Marc. Charlotte est partie faire un saut au studio, celui dont elle tenait les rênes avant de prendre son congé longue maladie. C’est la première fois qu’elle y retourne depuis un an et demi, avec l’intention de revenir, cette fois-ci pour de bon. Anne est heureuse pour elle, et tellement fière de sa fille.
Quand Marc la salue depuis l’entrée, elle a un sourire dessiné sur les lèvres.
— Ça va ? Demande-t-il, presque surpris de voir sa femme sourire aux anges.
— Charlotte est allée au studio, elle ne mangera pas ici.
Il marque d’un simple « Oh » son étonnement, et comprend le sourire d’Anne. Tout ne peut pas aller mal en même temps, n’est-ce pas ?
C’est un peu ce que se dit Élie, encore accoudé à son bureau malgré l’heure tardive. Maryam n’a pas répondu à son message, et il a respecté sa volonté, il a conservé une distance polie. Il en crève, au fond, mais que faire d’autre ? Vous vous dites, comme moi, qu’il pourrait lui parler, par exemple. Décrocher son téléphone, le bougre, et lui avouer tous ses sentiments.
Et vous savez quoi ? Maryam n’attend que cela, une preuve. S’il avait l’audace de l’appeler. Si seulement. Mais vous le savez comme moi, avec des si, on met Paris en bouteille !
Mais Élie, il n’a pas de bouteille, il a juste Paris, Maxime, et Charlotte. Il a le boulot pour tromper la tristesse, et vu le contrat que lui a confié son patron, à l’agence de communication où il travaille comme graphiste, il n’a pas vu le printemps passer un peu sous la pluie, ni le soleil de juin arriver. Dans deux semaines, il remarquera que l’on est en juillet, et que son contrat est terminé. Élie ne vient plus aux dîners chez Madeline et Maxime, il trouve un prétexte différent à chaque fois, et tout le monde sait pourquoi, même si personne n’en parle.
De l’autre côté de Paris, Charlotte s’assied sur une marche de l’esplanade de la Défense. Au-dessus d’elle, le ciel est bleu, dégagé, seulement strié de fin nuages de beau temps, très haut dans l’atmosphère. Une brise tiède fait jouer les mèches de ses cheveux auburn, qui chatouillent doucement ses joues. Elle reprend une gorgée de son café, pas de cigarette, aujourd’hui. Eh oui… Charlotte y pense, revenir travailler. C’est pour cela qu’elle est allée au studio, aujourd’hui. À son studio. Celui qu’elle dirigeait avant… Avant la tempête. Elle a retrouvé son équipe, Marina, Eddie, Lulu, Jeff : tous en forme et ravis de la revoir.
Le studio n’a pas désempli, ils font un boulot formidable. Charlotte sourit dans le vent. Elle va laisser passer l’été, elle va recommencer l’entraînement. Et elle va surtout laisser passerla naissance de la fille de Madeline et Maxime.
La fille, oui.
Quoi ? Comment ça vous n’étiez pas au courant ? Je ne vous avais rien dit ? Incroyable… ! Le temps a filé si vite, j’étais bien, moi, sur mes petits nuages, à voleter et regarder le sablier s’égrener, trois mois durant. Allez, assez d’excuses : je vous raconte.
Madeline et Maxime ont appris qu’ils allaient avoir une fille, lors de l’échographie du cinquième mois. Et ils sont très, très contents.
J’envisage de vous laisser là-dessus…mais ce ne serait pas bien charitable !
Alors voilà : elle est en excellente santé, et la gynécologue qui les suit a assuré à Madeline que c’était l’autoroute de la tranquillité jusqu’à l’accouchement. Madeline respire, Maxime aussi, et toute la famille avec eux. C’était un soupir de soulagement, presque timide, au début.
Mais les semaines ont continué de s’écouler lentement, et le bébé de bouger, dans le ventre tout rond de Maddy. La sage-femme a plaisanté de travailler avec un bébé aussi tonique – et c’est vrai qu’elle est remuante, la petite crevette, dans son océan personnel ! Elle tire bien, parfois, quelques grimaces à Madeline, mais fascine son père, qui voudrait pouvoir se greffer les mains sur la peau tendue de sa femme, pour sentir les moindres gestes de sa fille.
— Regarde-moi dans les yeux, Max, lui dit-elle parfois en plaisantant.
— Oh, mais je te regarde dans les yeux de ton ventre ! Répond généralement Max, hilare, avant d’embrasser Madeline.
Maxime et Madeline ont vécu ce printemps dans une bulle, créée naturellement par l’état de Maddy. Autour d’eux, et après les aventures et déboires déclenchés par l’annonce de sa grossesse, la vie a semblé reprendre son cours. Madeline observe avec curiosité ce qui se passe en elle, tout en sachant que ce calme ne durera pas.
Elle a accueilli avec autant de distance la venue de Sally que l’absence du grand-père de Maxime. La première, parce qu’elle ne sait pas à quoi s’attendre, alors elle a choisi de ne pas y penser ; le second, parce qu’elle ne le connaît pas.
Maxime a accusé le coup, au retour d’Élie et Charlotte. Il a eu beau s’être dit et répété de ne pas y mettre trop d’espoir, au fond de lui, il a espéré que son grand-père soit… eh bien, quelqu’un d’autre. Qu’il tourne la page, qu’il mette de côté sa rancune, pour venir rencontrer son arrière-petite fille.
— Max ? Je te sers un digestif ?
La voix de son père vient de le sortir de ses réflexions, dans lesquelles il s’est plongé pendant de longues minutes. Il atterrit d’un coup, comme un tout petit point qui grossit sur la carte : il est en Normandie, chez son père, avec Maddy.
— Allez, mais un fond de verre, juste pour goûter, répond Maxime, qui se méfie des petits alcools artisanaux de son père.
— Sois pas farouche, celui-ci, je l’ai acheté, dit Antoine d’un air malicieux, arrachant un sourire en coin à son fils, qui hume prudemment le liquide mordoré de son verre.
— Calva ?
— Goûte, lui rétorque Antoine.
Madeline étouffe un petit rire, d’autant plus soulagée quand elle voit la grimace que fait son mari en avalant difficilement la liqueur.
— Ah, fait-il dans un souffle. Je préfère quand-même le pinot !
Antoine a un petit sourire désolé.
— J’ai appris, pour Pépé, ton oncle m’a appelé. Il n’avait jamais vu Élie comme ça.
— Tu parles… Il était tellement en colère quand ils sont revenus d’Auvergne, que c’est Charlotte qui nous a tout raconté.
Madeline écoute d’une oreille distraite, absorbée dans la contemplation d’un rouge-gorge, venu se poser sur le faîte du cabanon de jardin. Maxime s’en était voulu, après coup, de les avoir envoyé là-bas, et Élie s’en était voulu d’avoir traîné son amie là-bas. Quant à Charlotte, elle n’en voulait à personne, et avait pris les choses avec philosophie, surtout désolée pour son ami.
Le rouge-gorge vient de voleter sur l’une des branches basses du noisetier, qu’il a à peine fait bouger. Il arrache un sourire à Madeline, qui caresse son ventre doucement, légèrement. Le temps fera son œuvre, c’est déjà le cas.
Quand ils repartent, à la fin de la journée, Madeline au volant, Maxime est détendu. C’est l’effet « Antoine ». Depuis que son père a déménagé en Normandie, plaquant toute sa vie parisienne pour racheter ce vieux corps de ferme en pays d’Auge, il s’est transformé. Pourtant, personne n’y croyait, au départ. C’était un coup de poker, et bien réussi, pense Madeline alors que Max s’assoupit, sur le siège passager.
L’Atelier des fées
— Des nouvelles de la date d’arrivée de Sally, au fait ? Demande Madeline, à l’autre bout du fil.
Charlotte pousse un léger soupir. Non, elle n’a pas de nouvelles de sa petite sœur, pas directement, du moins.
— Lola va faire le voyage avec elle, répond Charlotte, évasivement. Elle m’a dit qu’elles prenaient bientôt leurs billets d’avion.
Charlotte n’a pas été très précise sur le contenu de son voyage à Kyoto. Tant de choses qu’elle ne peut pas dire ! Ce n’est pas à elle d’annoncer à la famille que Sally et Lola sont en couple, et pour le reste, Sally a été tellement floue elle-même… Charlotte se raccroche à cette simple phrase sous forme de promesse : « Je viens. »
— Jusqu’au bout, hein ? Dit Madeline, le sourire dans la voix. Bon, maman est en retard ?
Charlotte lève les yeux au ciel, mais comme sa sœur ne peut pas voir cela, elle vocalise son dépit.
— Eh oui, mais elle ne devrait pas tarder : elle ne répond plus au téléphone, c’est qu’elle doit être au volant !
Au moment où elle prononce cette phrase, elle entend le cliquetis de la serrure, la porte qui s’ouvre avec précipitation et la voix de leur mère qui crie depuis l’entrée, en balançant manifestement ses chaussures :
— Je me grouille ! Je suis prête dans cinq minutes !
Charlotte et Madeline éclatent de rire.
— T’as un bisou de Maddy, fait-elle depuis le haut de l’escalier.
Elles ont rendez-vous, Anne et elle, dans l’après-midi, à l’Atelier des 100 Vœux, sur l’invitation de sa créatrice, Marion.
Quand Charlotte a mis en place le projet pour la Couverture, elle a voulu s’assurer qu’elle avait tout bien fait comme il faut. Alors, en fille plutôt organisée, elle a envoyé un mail, et puis de fil en aiguilles, Charlotte s’est retrouvée à raconter son histoire. En comprenant qu’elles n’étaient pas loin, Marion les avait invitées, avec Anne, à venir visiter l’atelier.
La première fois qu’elle avait entendu la voix hésitante de Charlotte au téléphone, il faut bien avouer que Marion avait été touchée, quelque part au fond d’elle, mais sans trop savoir pourquoi. Si c’était la fêlure dans le feutre de la voix, ou bien dans ses silences. Et puis, presque sans avoir besoin de rien dire, elle avait écouté son histoire, de femme à femme, en toute simplicité. Et s’était entendue l’inviter à venir visiter l’atelier, un vendredi après-midi.
— Allez, je te laisse, avec un peu de chance, on va réussir à ne pas être trop en retard…, dit Charlotte à l’adresse de Maddy, avec un petit rire.
Et puis, elle descend les escaliers en trombe, rejoignant sa mère, qui renfile déjà ses sandales compensées.
— Eh, mes chaussures ! S’exclame Charlotte, le point sur la hanche, faussement offusquée.
Anne lui emprunte souvent ses chaussures, depuis qu’elle est revenue, et c’est un sujet récurrent de taquineries entre elles. Le visage de sa mère se fend d’un immense sourire et d’une mimique suppliante, tant et si bien que Charlotte, ne pouvant réfréner un sourire en coin, attrape ses spartiates, puis les clefs du bout des doigts.
— D’accord, mais c’est moi qui conduis !
— Le rapport ? Rétorque Anne.
— Aucun ! Fait Charlotte, hilare.
Une heure et demie plus tard, elles arrivent dans une jolie rue boisée, et se garent à l’ombre, soulagée d’être arrivées avec si peu de retard.
Depuis son perchoir, fenêtres ouvertes, Marion entend la portière d’une voiture claquer, et deux voix féminines. L’une d’elles qu’elle reconnaît sans doute aucun comme celle de Charlotte.
— Johanna, elles sont arrivées, je vais aller les accueillir en bas, lance-t-elle à son assistante en sortant.
Johanna s’arrête un instant en plein milieu du mail qu’elle est en train de rédiger. « Chic, chic, chic ! » pense-t-elle ; elle adore rencontrer les créatrices de projets et discuter avec elles. Et puis Marion lui a raconté un peu l’histoire de la famille… Elle se lève avec un sourire et va faire tourner la machine à café, préparant les thés, les tasses, le sucre.
Dans l’atelier, la radio envoie un son qui balance, couvrant à peine le bruit des machines à coudre qui s’activent pour avancer les couvertures qui doivent être envoyées la semaine d’après. Un truc moderne, pop et funky. Au milieu de tout ce tintouin habituel de l’atelier, Justine prépare les colis en marquant le rythme de sa tête. En voyant ses collègues plaisanter sur sa bougeotte, elle a subitement envie de laisser éclater sa joie et de traverser le grand open space lumineux en dansant. Ce qu’elle fait, rebondissant sur ses pieds, dans un mélange hasardeux mais réussi de ses mouvements qui suivent le tempo.
Là-dessus, elle intercepte le regard amusé Iohara et entend pouffer les filles derrière elle ; s’interrompant dans son mouvement, le talon droit décollé, la main droite vers le ciel et la gauche sur la hanche, elle effectue gracieusement un demi-tour pour voir Marion, sur le pas de la porte, sourire aux lèvres, avec ses deux visiteuses aux cheveux auburn, qui contemplent le studio et ses occupantes avec un sourire un coin.
— Tu t’amuses bien ? Lui lance Marion, avec un sourire immense qui fend son visage.
— Beaucoup, rétorque Justine en lui rendant son sourire.
— Eh bien voilà, dit Marion. Je vous présente déjà Justine, avec laquelle tu as déjà échangé, je crois, ajoute-t-elle en regardant Charlotte. Les filles, voici Charlotte et Anne, sa maman, qui viennent visiter l’atelier !
Charlotte ouvre grand tous ses sens, comme pour capter du mieux qu’elle peut l’ambiance de cet atelier de nanas, qui jacassent joyeusement en s’envoyant des vannes du tac au tac, tout en abattant leur travail. Elle inspire profondément, pendant que Marion explique et présente l’atelier, et que sa mère, elle le sait, prépare déjà mille questions dans sa tête.
Elle inspire la luminosité de la grande pièce claire, des plantes vertes posées çà et là, elle s’enivre des couleurs tantôt douces, tantôt chatoyantes, des Couvertures qui s’empilent sur la table, face à elles. Elle se laisse bercer par les bavardages joyeux, les questions posées. Elle répond, un peu timide, un peu ébahie, très admirative du travail des couturières.
— Et alors vous utilisez quoi, comme tissu ? Et vous avez appris où ? Et ça vous prend du temps, j’imagine, non ?
Ça y est, Anne ne s’arrête plus, menant la discussion à bâton rompu avec les filles, qui lui répondent tout aussi vite ! Charlotte est doublement épatée. Elle se dirige vers les plaquettes de tissus exposées, jetant un regard à Marion.
— Je peux ? Demande-t-elle en tendant un doigt vers les étoffes, sans les toucher pour autant.
— Oui, bien sûr, répond Marion avec un sourire bienveillant. Et puis, on en a reçu plein de nouveaux, certains ne sont pas encore en ligne.
Charlotte remercie, et du bout des doigts, découvre la douceur de chaque tissu. Ici des étoiles, là des fleurs, des sirènes, des poissons, des feuilles bariolées et des couleurs pastels, son cerveau travaille à mille à l’heure, imaginant les assemblages possibles, les thématiques de couleurs… L’univers tout entier pour recouvrir sa nièce d’amour.
— Et ici, tu as les tissus pour la bordure…
Charlotte lève le regard et ses yeux suivent le geste de Marion, vers une série de tissus unis, soyeux, aux couleurs chatoyantes et lumineuses. Du doré au bleu pétrole en passant par le rose pastel, il y en a pour tous les goûts.
— Tu veux voir ce que ça donne, le livret finalisé ?
En entendant cela, Anne rapplique illico presto, pendant que Marion fait jouer les pages d’un livret imprimé, qui sera bientôt rejoint par sa Couverture, dans le joli totebag en tissu.
— Tu vois, sur chaque page, il y a un rappel du tissu, et c’est toi qui choisis la disposition de tout ça, précise Marion.
Une heure déjà s’est écoulée, sans que ni les unes, ni les autres, ne l’aie vue passer. Notre Charlotte est toute retournée, elle ne pensait pas qu’une simple visite lui provoquerait tout ce fouillis d’émotions, encore. Anne passe son bras en-dessous du sien, se calant contre son épaule.
— C’est une sacrée idée que t’as eue là, ma chérie, dit-elle tout bas en embrassant sa tempe.
Charlotte, elle sourit sans rien dire, parce qu’elle sait que si elle laisse sa voix s’exprimer, ça va trembler et puis ses yeux vont se remplir d’eau. De toute façon, toutes les femmes ont compris, dans l’atelier, mais elle n’a pas envie de pleurer. Parce qu’elle n’est pas triste, Charlotte. Elle a un espèce de mélange de type melting-pot New-Yorkais dans son cœur et dans son ventre, de joie, de nostalgie, de tristesse un peu, et de reconnaissance.
Mais elle n’a pas envie de détailler tout cela, alors elle dit un peu en rigolant.
— Bon, je n’ai plus qu’à me mettre au boulot !
Quand elles redescendent dans la petite cour végétalisée, le soleil de cette mi-juillet brûle les murs. Dans trois heures, les ombres commenceront à s’allonger, et tout sera un peu plus doux.
— Ça va, ma puce ? Demande Anne à sa fille.
— Oui, je crois. J’ai hâte, de la naissance, de rencontrer la crevette, de découvrir la Couverture, que Sally arrive…
Anne sourit, mais au nom de Sally, elle sent quelque chose se contracter dans son ventre. Elle déglutit sans quitter son sourire, mais Charlotte a déjà remarqué le trouble de sa mère à la mention de sa petite sœur.
— Ne t’inquiète pas, je suis sûre qu’elle viendra.
Anne a un petit rire, que Charlotte interprète comme une forme d’incrédulité pessimiste. Si elle savait…
— C’est ce dimanche, que Papa commence les séances avec Papy ? Demande-t-elle, changeant de sujet.
— Oui, ils ont hâte tous les deux, tu verrais : de vrais gosses !
Depuis qu’il a annoncé à la famille qu’il a Parkinson, Peter suit un traitement, et va toutes les semaines chez le kiné. Ce kiné, fan absolu de V.T.T., lui a parlé du vélo et du mouvement, pour ralentir le développement de la maladie. À quatre-vingts ans, cela a un peu fait rire Peter.
— Détrompez-vous, a rétorqué le masseur. Il n’y a pas d’âge pour s’y mettre !
— Ou s’y remettre, dans mon cas ! Je crois que les derniers paysage à m’avoir vus pédaler sont les collines écossaises… !
Alors, Peter a de nouveau demandé son aide à Marc, et les deux sont allés s’équiper dans un magasin spécialisé. Vélos, casques, lumière, vêtements : rien n’a été laissé au hasard, et finalement Peter s’est franchement pris au jeu.
— Tout un programme, commenta Charlotte avec un sourire.
De nouvelles choses se dessinent, et elle ne comprend pas comment sa mère fait pour ne pas voir cela, que le chemin semble enfin s’être éclairci, que ce n’est plus la lumière au bout du tunnel, mais qu’ils y sont, là, dans la lumière !
Anne perçoit que sa fille irradie d’excitation et de joie, et elle se demande si ce n’est pas elle qui a raison, après tout. Peut-être que Sally va venir, et qu’elle ne donne pas de nouvelles parce qu’elle ne sait pas comment s’y prendre. Peut-être qu’elle préfère attendre d’être réunis, tous ensemble, pour leur expliquer.
Ou peut-être pas.