L’insoutenable lourdeur de l’angoisse

Anne se tient à la fenêtre de la cuisine. La fin du mois de mars annonce la fin du froid, la fin de l’hiver, mais pas la fin de la grisaille. La braise de sa cigarette allume la brume parisienne d’une faible lueur rougeoyante. De l’autre main, Anne tient son téléphone, dont elle attend fébrilement le message de Charlotte, comme tous les jours depuis que sa fille est partie au Japon.

Comme tous les jours, depuis que Marc lui a enfin dit pourquoi Sally était partie. Quel corniaud, lui aussi, de n’avoir rien dit, pense-t-elle. En soufflant sa fumée vers le parc, elle entend presque les rires moqueurs des macchabées de Bagneux. Ils sont décidément sans pitié, en ce moment. Ou bien, ce sont ses idées qui tournicotent dans sa tête. De vous à moi, Anne est sans pitié avec elle-même.

Enfin, le téléphone vibre : un message de Charlotte.

« Salut Maman. Des nouvelles du front nippon. Tout va bien, le Japon est un pays étonnant et Sally y a l’air heureuse. Nous abordons timidement la raison de mon voyage, j’avance pourtant à pas de loup, pour ramener la fille prodigue. Embrasse Papa pour moi, je vous aime. »

Anne soupire. Charlotte n’a pas encore eu le temps de l’appeler. Et elle stresse, Anne, elle sent les nœuds dans son estomac se resserrer, tournicoter, s’emberlificoter, sans ménagement. Elle tire sur sa cigarette presque terminée et se ronge un ongle en l’écrasant sans ménagement dans le cendrier.

Absorbée dans ses pensées, elle n’a pas senti Marc se glisser derrière elle, qui l’enlace tendrement. Il sait le mal qui ronge sa femme, mais il ne sait pas comment la rassurer. Des jours que ça dure. Il voudrait pouvoir en faire plus, mais il se sent un peu bête. Eh, quoi, pas facile de rassurer quelqu’un quand on est soi-même ravagé par l’inquiétude. Pauvre Marc.

— Elle ne lui a rien dit, essaye-t-il, peu convaincu.

— Pas moyen de savoir, répond Anne, pragmatique. Elle reste floue.

— Elle est absorbée par son voyage, elle est au Japon, après tout. 

Anne doit se contenter de cette réponse. Elle sait que Marc a raison, elle s’est déjà fait toutes les réponses et explications possibles dans sa tête. Elle tourne en rond, Anne. Elle tourne en rond, et cela ne lui plaît pas.

La question de Charlotte

Charlotte redescend le sentier. Elle vient de parcourir la promenade des temples d’Argent et d’Or, avec une file de touristes sages et disciplinés, qui prennent en photos convenues les bâtiments à pagodes magnifiques qui s’élèvent le long du chemin, sur la colline, dans le parc. La nature est verdoyante, et si les cerisiers ne sont pas encore en fleurs, d’autres illuminent de couleurs chatoyantes la nature japonaise.

En sortant du parc payant, elle récupère son vélo. Le lendemain, elle a prévu d’aller à Osaka pour visiter le célèbre château médiéval de la ville. Et ce soir, elle est censée retrouver Sally et Lola dans le club de nuit où travaille cette dernière, comme musicienne.

C’est vrai que quand Lola a mentionné qu’elle avait de la famille en visite au pays, son patron a immédiatement proposé que son invitée vienne passer une soirée. Lola est la meilleure musicienne du club, non seulement parce que c’est une virtuose avec son violon, mais aussi parce qu’elle fait danser les clients, elle les fait rire, et certains ne viennent que pour elle. Alors le patron, il la soigne, sa petite prodige.

Charlotte est un peu impressionnée : ce n’est pas un univers auquel elle est habituée. Ce club, c’est du luxe dans les sous-sols de Kyoto. De très riches clients viennent se divertir avec goût et élégance – quoique, quel que soit la marque des vêtements, plus grand-monde n’est élégant après une dizaine de verres à cinq heures du matin, heure de fermeture du club.

Elle a demandé à Sally comment elle devait s’habiller, et la réponse laconique de sa sœur ne l’a pas rassurée. Puis, elle a envoyé un message à Lola pour lui demander la même chose. Cette fois-ci, la réponse détaillée de la jeune fille a conforté Charlotte dans l’idée qu’elle devait aller faire du shopping dans l’après-midi. Heureusement, Lola lui avait aussi donné ses meilleures adresses.

Charlotte jette un œil à sa montre : elle a largement le temps de rejoindre l’artère animée que lui a indiquée Lola avant que les magasins ne ferment. Le temps passe vite, pourtant, si vite. Déjà plus d’une semaine qu’elle est arrivée, et elle a l’impression que ce soir, c’est sa chance pour parler à Sally de son idée. De revenir en France, pour la naissance du bébé. De parler avec elle, à cœur ouvert, de comprendre pourquoi elle est partie aussi abruptement. Pourquoi elle n’a rien dit, jamais, les plantant tous là comme des vieilles chaussettes.

Le cœur de son voyage, la raison qui lui avait fait traverser le continent, et malgré tout, elle sentait sa gorge se serrer et son ventre se tordre à chaque fois qu’elle imaginait aborder le sujet.

En arrivant à l’auberge, le soir, elle prit le temps d’écrire dans son carnet, espérant que le déversement de ses émotions en encre calmerait son feu intérieur. En fermant les yeux, elle respire profondément. De tout ce qu’elle a vu depuis son arrivée, Kyoto l’invite au calme. Les jardins, les temples colorés, les arbres pluri-centenaires de la ville, entourés de guirlandes et contre lesquels les Japonais viennent se poser, comme pour honorer leur nature.

Il est facile de sortir de la ville, des chemins mènent aux monts alentours, offrant des balades dans une nature sauvage, verte et dense, à deux pas de la ville immense. Charlotte respire dans les impressions qu’elle a gardées dans sa tête, comme les peintures de sa sœur qu’elle a pu admirer en allant chez elles. Lola et Sally. La question à laquelle elle ne s’attendait pas.

Quelle question ? Il sera probablement plus pratique pour moi, de vous montrer directement ce qu’il se passe dans la tête de Charlotte. Alors regardons un peu ce qu’elle a écrit dans son joli carnet turquoise aux bords argentés…

J’ai fait le parc des temples d’Or et d’Argent aujourd’hui, après m’être baladée un peu dans la ville. Ça n’a pas vraiment aidé à me débarrasser de mon stress à l’idée de la soirée qui m’attend. Mais au moins, je vais écrire. J’ai eu la psy au téléphone une fois depuis mon arrivée, parce que j’ai paniqué un soir, à l’idée d’avoir fait une énorme connerie.

Et puis comme toujours, Badia a su trouver les mots justes pour me remettre d’aplomb. La patience, respirer, et surtout, l’assurance que je n’ai pas eu tort de venir jusqu’ici. « Si ce n’est pas vous, qui ? » m’avait-elle dit. « Cela fait partie de votre processus, cette idée vient de vous, personne ne vous l’a suggérée. Et même si c’est difficile, c’est votre chemin, faites-vous confiance. »

Les filles sont débordées, mais elles ont quand-même trouvé le temps de m’inviter chez elle, un soir, pour me montrer leur appartement. J’ai l’impression que c’était davantage l’initiative de Lola, mais tant pis. Au moins, j’ai vu où vivait ma sœur. Eu l’occasion de découvrir que ma petite sœur peignait, et plutôt très bien. Aquarelle, encre de chine, pastels… elle s’essaye à toutes les techniques, avec succès. Elle prend même des cours auprès d’un maître. Quand elle en parle, son regard s’allume et ce sont à peu près les seules informations qu’elle consent à me donner librement.

Tout le reste, je galère. C’est fou. Et là, je suis à peu près sûre que Lola et elle sont plus qu’amies, il y a une complicité entre elles, qui n’est pas celle d’une amitié. Mais Sally ne dit rien. Et je n’ose pas demander. C’est délicat. J’ai tellement peur de mal faire, de la blesser, d’être intrusive, déjà que j’ai l’impression de la déranger… Lola est une fille bien, j’essayerai de parler avec elle.

Quand, comment, ça ce sont encore des questions à résoudre. Elle veut parler à Lola de certaines choses, mais n’a certainement pas envie de le faire par messages. Pas tant qu’elle est là, sur place. Elle est venue pour ça, parler. Mais Charlotte ne s’attendait pas à ce que cela lui demande tant de courage. Du courage pour oser, pour soutenir le regard de Sally, et pour affronter ses réponses, c’est sans doute le pire.

Le train partait de Lille

Alice regarde son sac, perplexe. Elle cherche sa carte bleue. Elle contemple son légendaire bordel, la main sur la bouche. Son train part dans une heure, et elle met une petite demi-heure à rejoindre la gare. Autant se le dire : Alice est un peu en retard.

Mais elle ne s’inquiète pas, Alice est d’une nature assez flegmatique. Elle passe sa main le long de sa nuque qu’elle a rasée, pour l’occasion. À moitié pour se sentir revivre, à moitié pour la blague pour les copains. Elle avait été très amusée par la surprise de Maddy et Maryam devant sa blondeur naturelle, qu’elle a laissée revenir après la première – et seule – poussée de sa maladie.

— Bon, où peut bien être cette carte ? Demande Alice à Philibert, qui la regarde en plissant les yeux, relevant le nez vers elle. Tu ne sais pas non plus, n’est-ce pas ?

Elle continue de farfouiller. Philibert bâille et se lèche la patte, insensible aux farfouillements d’Alice qui commence tout juste à s’agacer. Il ne l’aide pas du tout. En même temps, Philibert est un chat. Un beau chat roux qui se prélasse sur le fauteuil dans les pulls en tas, le nez enfoui sous sa queue aux longs poils. Seuls ses yeux qui suivent son humaine trahissent l’attention qu’il porte à toute cette agitation.

Deux heures et demie plus tard, Alice est dans son train, qui arrive à Paris. Une fois sortie de la gare de Juvisy, elle se dit qu’elle n’est pas fâchée d’avoir quitté la région, pour retourner dans son fief natal : les vilains ont beau dire, elle trouve qu’il fait mieux vivre à Lille. Son visage s’illumine quand elle aperçoit la vieille voiture de Maryam. Elle n’en a pas changé, non pas par manque de moyen, mais par amour pour sa Twingo, et Alice a toujours trouvé cela adorable.

Derrière la porte de l’appartement, Maddy et Maxime préparent l’apéritif gaiment. Élie se tient un peu en retrait, il a du mal à partager leur joie et leur excitation, même s’il a gardé un bon souvenir de la rigolote Alice. Vous, vous savez pourquoi le bel Élie n’a pas le cœur à la fête… Don Juan a la bouche qui sourit et les yeux qui pleurent, il a le masque qui craquelle, et Maxime se demande pourquoi son cousin fait cette tronche-là.

La porte s’ouvre sur Maryam et Alice, effusion sucrée, rires et embrassades. Mais au-dessus de cette scène adorable, Madeline jette un œil à Maryam et à Élie, et trouve le même masque de tristesse sur leurs deux visages. Ils sont un peu misérables, il faut bien le dire. Tout comme il faut bien reconnaître que Maryam s’en sort mieux : la présence d’Alice la détourne de ses préoccupations sentimentales.

— Alors, voici donc l’antre de Mad-Max ! Dit Alice malicieusement.

— Comme tu vois, répond ledit Max, avec le même sourire.

Du tac-au-tac, Alice demande des nouvelles, tout en traversant l’appartement pour aller poser son petit sac de voyage.

— Et qu’as-tu fait de Philibert, ce vieux matou, s’il est toujours de ce monde ?

Alice se retourne vers Élie, surprise qu’il se souvienne de son vieux chat.

— Eh, quoi ? Ça te surprend ? J’ai une affection particulière pour les chats, qui contemplent notre bassesse humaine du haut de leur coussinet de velours, sans jamais se départir de leur dignité.

Alice s’esclaffe.

— La dignité, la dignité, parfois on se demande, mais que nous vaut cet élan lyrique et tristoune, cher Élie ? Tu vas bien ?

— Ah mais je vais, je viens, j’erre dans le brouillard parisien, et tandis que le ciel nous incommode de ses caprices, la vie se prépare là bien au chaud, ainsi va le monde…, déclame Élie sur un ton de clown triste, en désignant le ventre rond de Madeline.

Alice ne sait pas si elle doit rire ou ouvrir de grands yeux étonnés, donc elle se colle un demi-sourire sur le visage, en acquiesçant. Puis elle remarque que Maryam a détourné le regard, et fait tout pour se lever de son fauteuil toutes les trente secondes.

Le manège est assez drôle à voir d’en haut. Je vous donne l’image ?

Autour d’une petite table basse ovale, en bois, cinq amis. Deux sur le canapé en tissu anthracite : les amoureux. En vis-à-vis sur les fauteuils assortis, Elvire et Don Juan qui se regardent à peine. Puis au milieu de cela, entre les deux fauteuils, une petite blonde qui ne rate rien, et interroge l’Amoureuse, en face d’elle, du regard.

Madeline capte le regard d’Alice, qui désigne ensuite discrètement les amants maudits. Maddy lève les yeux au ciel : elle lui expliquera. Alice a compris ; en même temps, les amis, ils sont à peu près aussi discrets que deux éléphants dans un magasin de porcelaine. Il n’y a bien que Maxime qui ne remarque pas le petit jeu mis en place, ni la discussion silencieuse entre les deux filles.

Alice retrouve l’ancienne complicité, restée intacte. Elle retrouve le plaisir d’être entourée de ces personnes-là, précisément, et elle nage dans le bonheur que rien n’ait changé entre eux tous.

Enfin, presque rien…

Le charme du saké

— Il dit qu’il est très heureux de te rencontrer, et que tu es son invitée, dit un peu fort Lola à Charlotte, traduisant ce que vient de dire son patron, Monsieur Yamikochi.

— Comment cela, son invitée ? Demande Charlotte à Lola, les yeux écarquillés.

Lola répond, avec un sourire un peu gêné.

— Les gens viennent de loin pour me voir, et je ramène pas mal d’argent dans la boîte. Alors c’est sa manière de me dorloter pour que je n’aille pas voir ailleurs.

— Remercie-le mille fois pour moi.

Lola, avec une surprenante aisance, traduit en japonais la gratitude d’une Charlotte très étonnée. Grâce aux conseils vestimentaires de Lola, elle se sent un peu moins en décalage, mais elle ne se sent pas parfaitement à son aise, malgré tout. En même temps, sa sœur peine à lui décrocher trois mots, et semble plus renfermée que jamais. C’est bien simple : plus Lola fait des efforts et plus Sally se referme comme une huître au regard fuyant.

Si tant est qu’une huître ait un regard, mais c’est une autre histoire…

Charlotte fait tout ce qu’elle peut pour briser la glace. Elle lui a même montré le message qu’elle a envoyé à leur mère, avec la photo de leurs pieds, mais Sally a semblé se renfermer plus encore. Intérieurement, Charlotte grommelle et elle est à deux doigts de perdre patience.

— Dis-moi, quel est le meilleur saké, quand on n’y connaît rien comme moi ? Demande Charlotte à Sally.

Elle soupire, prend la carte, la lit rapidement, et lui désigne une ligne écrite en japonais.

— Demande celui-là, c’est bien pour commencer.

Si elle ne peut pas l’atteindre par ses mots, Charlotte passe à l’offensive armée d’une jolie bouteille d’alcool de riz. Rira bien qui rira la dernière.

Qu’est-ce qu’on se poile, n’est-ce pas ? Charlotte n’a pas perdu son temps : dès la bouteille arrivée sur la table, elle a servi deux verres pleins à ras bord. Sally a émis le début d’une protestation, immédiatement éteinte par le regard acéré de Charlotte, bien décidée à parvenir à ses fins. Merde, j’ai pas traversé un continent pour rien.

Et pendant que Charlotte s’attaque à coup de liqueur à la tête de pioche de sa petite sœur, Lola fait virevolter les notes sous son archet, aussi drôle qu’élégante, rassemblant autour d’elle, dans cette ambiance sélect et intimiste, un petit cercle d’admirateurs et d’admiratrices, qui applaudissent chaleureusement quand elle achève la première partie de son show. Charlotte est épatée ; c’est à mi-chemin entre le spectacle vivant et le burlesque, Lola est douée, très douée.

Quand elle revient à leur table, elle presse doucement l’épaule de Sally avec un regard tendre. Cette fois-ci, Charlotte en est sûre. Mais Sally n’a toujours rien dit. Après tout, ça la regarde. Mais bon. Elle aurait pu lui en parler, non ? Ne lui fait-elle pas confiance à ce point ?

Que s’est-il passé, petite Sally, pour que tu sois si défiante envers ta grande sœur ? Qu’est-ce qui te court dans la tête et assombrit ton regard ?

— Où sont les toilettes, s’il te plaît ? Demande Charlotte.

— Viens, je t’accompagne je dois y aller aussi, répond Lola.

En partant, elle lance un regard entendu à Sally, dont le visage tendu ne reflète quasiment rien. Tant pis, pense Lola. Aux lavabos, Charlotte lâche un long soupir, s’appuyant sur les rebords en marbre blanc.

— Tout va bien ? C’est le saké qui ne passe pas ?

— Lola, je peux te poser une question ?

La jeune fille se retourne d’un quart pour faire face à Charlotte. Est-ce qu’elle s’y attend ? Oui. Est-ce qu’elle est surprise ? Tout de même, un peu.

— Vous êtes en couple, avec Sally, non ?

Charlotte est gênée, elle a dit les mots rapidement, en priant pour n’avoir pas blessé Lola. Elle l’aime beaucoup, et n’a pas envie de lui faire du mal. Mais un rapide coup d’œil lui indique que Lola ne l’a pas mal pris du tout. Elle sourit, le regard un peu étonné.

— Oui, depuis plus de deux ans. Sally ne t’a rien dit… ?

— Non, soupire Charlotte.

Un ange passe, et la jeune femme brise le silence.

— Mais je ne lui en veux pas, évidemment. Et je t’apprécie sincèrement, toute la famille t’adore, même. Je suis heureuse pour vous, dit Charlotte d’un air un peu triste.

Évidemment, qu’elle en veut un peu à Sally de ne lui avoir rien dit. Évidemment qu’elle est un peu déçue de l’apprendre dans les toilettes d’une boîte de nuit japonaise, aussi élégantes, propres et distinguées soient-elles.

— Merci, Charlotte. Je crois que Sally a simplement… peur de votre réaction, dans ta famille. Mais on est heureuses, tu sais. On a nos soucis, mais on est bien ensemble.

Elle répète la dernière partie de sa phrase, et Charlotte a une pensée fugace qui passe dans son esprit : qui essaye-t-elle de convaincre ainsi ?

Elle secoue la tête, chassant cette pensée : cela ne la regarde pas.

— Merci de ta confiance. Je resterai discrète.

Quand elles retournent à table, Sally parle en anglais avec un homme d’une quarantaine d’années. Quand il avise Charlotte et Lola, il s’extirpe hors de la chaise, en saluant poliment les deux femmes qui s’approchent.

— Tout va bien ? Fait Charlotte à l’adresse de sa sœur, qui a un petit sourire en coin.

— Oh, oui. Il voulait savoir si tu étais célibataire, après que je lui ai dit qu’il ne m’intéressait pas.

— Ah, ah. Tu lui as dit quoi ?

— Je lui ai dit que tu serais ravie d’épouser un oligarque russe et je lui ai laissé ton numéro français, dit Sally, le sourire de plus en plus large.

— Espèce de pestouille, s’écrie Charlotte en frottant les cheveux de sa sœur. T’aurais pas osé.

— Ben tiens, s’esclaffe Sally.

Charlotte est ravie, on dirait que le saké commence à faire effet. Sa sœur a les yeux qui brillent, et alors que Lola retourne jouer, sa pause étant terminée, Charlotte décide de se lancer à l’eau.

— Sally ?

— Charlotte ?

— J’ai décidé de réunir la famille pour la naissance du petit de Maddy. J’aimerais que tu viennes, que tu participes à un truc un peu spécial pour nous. En fait, Sally, on aimerait tous que tu reviennes, juste un peu. Pour la naissance.

Elle se rembrunit d’un coup, essayant de n’en rien montrer. Elle essaye de réfléchir le plus vite possible, mais l’alcool ralentit le processus. Rappelle-toi de ton plan Sally, calme-toi, se dit-elle. C’est que ça chauffe, là-haut, entre ses deux oreilles ! Elle inspire un grand coup, prend un peu de distance et adopte un port de tête presque princier, avant de répondre.

— Je ne sais pas. Je vais y réfléchir.