Quand les cendres retombent, l’air s’épaissit.

Le mois de février se poursuit, froid, enneigé, triste. C’est ce que se dit Charlotte, appuyée sur le cadre de sa fenêtre fermée, dans la chambre, chez ses parents. Si elle tourne la tête vers sa gauche, Kurt Cobain a beau être tout plat, il ne lui dit pas autre chose. Quelle chanson il aurait écrit, lui, pour l’anniversaire d’un enfant né trop tôt et duquel la vie s’était déjà échappée ?

Merde, pense Charlotte, en écrasant une larme sur sa joue. Ça fait pile dix mois, aujourd’hui. Machinalement, elle a posé la main sur son ventre, et puis un sourire s’est formé à travers le voile de sa solitude : Madeline est enceinte, et Charlotte va réunir sa famille. Elle se l’est jurée.

Même si, il faut bien se l’avouer, pour le moment, ça ne ressemble pas vraiment à la réunion idéale qu’elle espère encore avoir. Évidemment, se dit-elle. Ce n’est que le début, et il faut bien faire sortir tout ça. Comme pour un abcès, si l’on n’enlève pas le pus, on ne s’en sort jamais.

Ainsi, Marie-Ange, leur grand-mère, avait des nouvelles – éparses, d’après elle – de Sally. Mais Charlotte n’arrive pas à lui en vouloir. Même si l’éclat de sa grand-mère a provoqué une série d’événements aussi improbables qu’inattendus. Elle aussi, après tout, avait gardé son idée secrète. Et puis, tout avait volé en éclat et désormais, Madeline, comme tous les autres, est au courant pour son idée de cadeau de naissance, et le projet qui va avec… 

Et puis, sur une autre note, son grand-père est mal en point. Enfin, c’est ce qu’Anne lui a dit. D’ailleurs, elle doit aller les voir, aujourd’hui, et Charlotte entend la porte d’entrée se refermer sur sa mère.

Presque deux semaines ont passé depuis l’éruption du volcan, et tout n’est pas encore retombé. Du moins reste-t-il encore du nettoyage à faire. Une tension subsiste entre ses parents, sur laquelle elle n’arrive pas encore tout à fait à mettre le doigt. Ils ne s’étaient pas engueulés – Marc et Anne ne se disputent jamais – mais quelque chose de leur complicité s’est effacé.

Elle se rassied à son bureau : il est couvert d’un bordel sans nom, entre prospectus, fiches, guides de voyage, et au milieu de tout cela, trône l’ordinateur, dont environ vingt-cinq onglets sont ouverts sur le Japon, le voyage au Japon, la cuisine au Japon, les phrases basiques à maîtriser en japonais, les transports au Japon, le Shinkansen et les cartes de transport du Pays du Soleil Levant.

Elle est tellement concentrée qu’elle n’entend pas son père entrer, doucement. Marc en veut encore à sa belle-mère, mais il admire la pugnacité et la décision de sa fille aînée. Et puis, cela lui ouvre une porte dans son couloir un peu sombre, un espoir d’enfin retrouver sa troisième fille. Marc est un père-né, et l’idée d’avoir une de ses filles qui ne lui parle plus – par sa faute – le ronge.

— Je te dérange ? Demande-t-il un peu timidement.

Charlotte relève brusquement la tête de son travail, et sourit à son père.

— Pas du tout, tu n’es pas au travail ?

— Pas ce matin, je passe juste régler un truc au bureau tout à l’heure. Alors, prête à partir ?

Charlotte lui rend son regard brillant.

— Presque ! Je commence à regarder ce que je vais pouvoir faire aussi, en termes de tourisme pur… Et puis… Je dois prévoir l’éventualité que ça ne se passe pas bien. Pas envie de me retrouver coincée à l’autre bout du monde sans avoir rien préparé !

Marc sourit : enfin, il reconnaît sa fille, un peu plus. Il s’assied au bout du lit et elle fait tourner son fauteuil de bureau pour lui faire face. Et puis, elle rassemble un peu son courage.

— Papa, il se passe quoi, avec Maman ?

Marc se rembrunit.

— Charlotte… Ça te regarde pas.

— Un peu, non ? Maman est toute triste, en ce moment, et puis… vous ne vous disputez jamais, faut se parler, un peu, sinon rien ne se résoudra, tu ne crois pas ?

— C’est entre ta mère et moi, dit Marc d’une voix sèche. Vous êtes très proches, elle et toi, je le sais bien. Ce serait agréable, pour une fois, que tu prennes mon parti.

Là-dessus, Marc se lève dans un soupir et quitte la chambre de Charlotte, qui reste bouche-bée. Elle prend une profonde inspiration, referme les yeux pour ne pas pleurer, et se remet face à son bureau. Alors, qu’y a-t-il à voir à Kyoto ?

Beaucoup de choses, apparemment.

Le fou-rire des vaches auvergnates

On est dimanche, à Juvisy, et Madeline potasse la liste de naissance, en fille bien organisée. Elle n’a pas envie de se retrouver avec trente-six body taille naissance, ou quatre chauffe-biberons. En face d’elle, Maxime lit une revue scientifique, les sourcils un peu froncés, et elle devine qu’il est en train de se perdre dans ses pensées. Il a sa moue d’esprit qui divague, typique, pense-t-elle en souriant.

Entre eux, tout roule, de nouveau. Madeline a tenu sa parole : elle avait besoin de quelques jours, et d’une conversation supplémentaire pour comprendre les motivations de son mari, comprendre ce qui l’a poussé à lui cacher des choses. Madeline a compris, et a pardonné. Avec la promesse qu’il ne recommencerait plus. Mais cela, Maddy le sait, elle ne doit pas trop compter dessus. La vie est longue et pleine de surprise. C’est bien la leçon qu’elle a retenue du dernier dimanche chez ses grands-parents, il y a deux semaines jour pour jour.

Maxime soupire, fait craquer tous ses doigts, et essaye de se replonger dans sa revue. En même temps, il pense à l’article qu’il doit terminer, lui-même. Et il soupire de nouveau. Ouh, la, la ! Maxime, que t’arrive-t-il ? Tu as plus de sérieux et de concentration, d’habitude.

C’est qu’il a un petit vélo qui roule dans sa tête, qui actionne des rouages, et cette fois-ci, il ne va rien en cacher à sa femme.

— Madeline ? J’ai une idée…

Elle relève le regard de son ordinateur et sourit : quand Maxime fait cette tête-là, c’est qu’il a les circuits qui surchauffent.

— Je veux faire comme Charlotte. Enfin non… Enfin, si. Enfin, pas exactement…

Madeline part d’un rire cristallin :

— Allez, tu vas y arriver !

— Te moque pas. Bon, on est d’accord que le cadeau de naissance de Charlotte, c’est la couverture des 100 Vœux ; et maintenant que la surprise est gâchée, autant en profiter, non ?

Elle plonge son regard dans le sien, attendant qu’il accouche.

— Alors, moi aussi, je veux réunir ma famille.

Oh, pétard. Les yeux de Madeline viennent de s’ouvrir tout ronds, comme ceux d’une chouette. Parce qu’elle sait à quoi il fait référence.

— Non… !

— Siii ! Répond-il en souriant. Sauf qu’il faudra aller moins loin.

Peut-être faudrait-il que je vous explique un petit peu l’étonnement de Madeline, et pourquoi elle se dit que Maxime a peut-être fondu un boulon, de vouloir ramener cet élément-là de sa famille dans la région, pour la naissance du petit.

Il semblerait que chaque famille porte ses boulets, ses casseroles – voire ses marmites. Pour le coup, le vieux Jeannot est plutôt une marmite. En fonte. Le grand-père de Maxime a plus ou moins coupé les ponts avec son fils aîné, le père de Maxime, et par extension avec son petit-fils, suite au divorce un peu fracassant d’Antoine et Elena, les parents de Max.

Jean, dit Jeannot, ou Pépé, mais le terme n’est plus très usité depuis la Grande Partition – c’est comme ça qu’Élie désigne cette époque de leur épopée familiale – a explosé et nourri une détestation profonde pour Elena, la traîtresse immonde (ce sont ses mots, pas les miens – tout de même), quand elle est partie filer le parfait amour avec Camille, un homme de quinze ans de moins qu’elle. Antoine a été bien secoué, comme il faut. Et puis après, il s’est secoué, Antoine.

Il s’est barré de Paris, a acheté une ferme en Normandie, et ça aussi, Jeannot l’a mal vécu. Pour lui, son fils avait réussi. Il s’était extrait de son milieu, et voilà-t-y pas qu’il y revenait. À cause de sa greluche. Et même pas en Livradois, en plus de ça !

— Tu veux ramener, pour la naissance de notre enfant, ton grand-père, qui ne parle presque plus à ton père, te parle à peine à toi, et parle de ta mère comme d’une salope qui a bousillé son fils ?

Elle est intriguée, et amusée, Madeline. Elle n’a jamais rencontré ce personnage que semble être le vieux Jeannot, et elle est malgré tout curieuse.

— Je vais pas le ramener. Bon, déjà s’il continue à traiter ma mère de salope, il peut y rester, en Auvergne ! Non, c’est pas moi, qui vais le ramener. J’aurais pas le temps, j’ai pas un seul jour de congé, tu sais que je les garde tous pour toi.

— Mais, qui ?

— Élie.

Eh bien oui. Parce qu’il n’a malgré tout pas envie, Maxime, que son Pépé meurt tout seul dans son coin, sans connaître son arrière-petit-fils. Et que, s’il attend après Élie, il peut regarder le bec de ses poules : il pourrait bien y avoir des dents, avant que le cousin ne se décide à se poser !

Madeline s’esclaffe, cette fois franchement.

— C’est une blague ?

— Mais non, ma chérie, répond Maxime en riant à son tour. C’est le seul qui pourra, et Pépé lui parle encore. Tu comprends, sa mère n’a pas trahie, elle.

Madeline se bidonne, elle se demande comment Maxime va bien pouvoir convaincre son très Parisien de cousin de s’éloigner de Paris plus de deux jours. Ce dragueur de midinettes, c’est vrai, quoi, comment va-t-il tenir, en Auvergne, dans le Parc National du Livradois ?

— Hi, hi, fait-elle avec un hoquet de rire. Il va faire comment, paumé dans les champs ? Il va draguer des vaches ?

— C’est vrai que… dans le genre perdu…, parvient-il à articuler.

Le fou-rire monte encore plus, et c’est communicatif, comme le rire de Maxime. Après un moment, il essuie les larmes qui pointent aux coins de ses yeux. Il regarde sa femme, qui reprend son souffle, et lui sourit, détendue. Il ferait tout, pour ces yeux-là.

Il est fini, le temps des cerises…

Maxime sort du métro, à Mairie de Montreuil. Il a un peu de temps, aujourd’hui. Cela fait trois jours qu’il a partagé ses intentions avec Madeline, et il doit maintenant négocier avec Élie pour qu’il parte en Auvergne quelques jours, rencontrer leur grand-père, et le convaincre d’enterrer la hache de guerre. Dur, dur.

Comme souvent, Maxime passe à l’improviste, chez son cousin : il sait que le mercredi, celui-ci sort un peu plus tôt du bureau, et il a pensé que ce serait plus simple en face, que par téléphone.

Sauf qu’Élie, eh bien… il est avec Maryam !

Là, si on était dans une série télévisée, on aurait la prévenance de vous dire que la scène qui suit est en partie NSFW (Not Safe For Work, soit à ne pas regarder au travail) mais comme on est à l’écrit, plongeons sous la couette… !

Bien, naturellement, je vais leur laisser un peu d’intimité (que croyez-vous, je suis une narratrice – à peu près – respectable !) et je suis obligée de flouter, mais vous voyez l’idée…

Sauf qu’il y a quelque chose de plus, ce jour-là ; quelque chose dans son regard à elle, quelque chose dans la manière qu’il a de lui frôler le nez avec le sien, très doucement. Elle se mord la lèvre, il passe les doigts dans ses boucles sombres, et il l’embrasse passionnément, quand…

« KRRRIIINNNNNN »

C’est le bruit de la sonnette. Elle le regarde, effarée :

— T’attendais quelqu’un ?

Il ouvre des yeux tout ronds, Élie. Non, il attendait personne, si ? Il sait plus…

« KRRRIIIINNNNN »

Bon, je ne sais pas ce qu’il vous faut de plus, moi, j’appelle ça un tue-l’amour.

Élie, bel homme sans complexe, se lève et va décrocher l’interphone, totalement à poil, pendant que Maryam, désespérée, se demande qui peut bien venir à l’improviste chez son…

Chez son quoi, d’ailleurs ? Pas le temps de réfléchir à ça, Maryam, ton sens des priorités ! Elle pense flou, en ramassant sa culotte, et se vautre à moitié en l’enfilant.

Pendant ce temps, Élie rigole à l’interphone, et appuye sur le bouton de l’entrée du bas, avant de raccrocher.

— Mais, ça va pas ? T’es timbré ?

Maryam perd – un peu – son calme légendaire. Élie la regarde, soudainement paniqué :

— C’est Maxime ! Je peux pas lui dire non, il se douterait de quelque chose !

— Ah, putain… ! Lâche Maryam en regardant le plafond.

— Grouille, planque-toi sous mon lit !

— C’est une blague ?

Pas le temps de discuter, l’ascenseur n’est pas de première jeunesse, certes, mais Maxime ne va vraiment pas tarder… ! Élie fait un geste de la main en crispant un sourire mi-paniqué, mi-désolé, et Maryam se faxe sous le lit, en pestant comme une belle diablesse des contorsions qu’elle s’oblige à faire pour pouvoir garder le secret de cette relation.

Élie enfile rapidement les fringues dont il s’était débarrassé sur le sol de son studio, un moment plus tôt, et ouvre à Maxime, surpris de trouver son meilleur cousin – c’est comme cela qu’ils s’appelaient quand ils étaient petits – un peu bizarre, presque pressé.

Mais oui, Max, bien sûr, rentre, fais comme chez toi, pense Élie. Mais Maxime est beaucoup trop absorbé par son projet pour remarquer que son cousin est carrément embarrassé de le recevoir. Élie colle sur son visage son plus beau sourire, et prie pour que Maryam n’ait pas une quinte de toux, sous le lit. Il lève les yeux au ciel, écoutant à peine son cousin qui lui reparle de Charlotte.

— … et c’est pour ça que je voudrais que ce soit toi qui y ailles, termine Maxime.

Qu’est-ce que… quoi ? Il veut que j’aille où, chercher qui ?

— Pardon ?

— Je suis à peu près certain que Pépé refusera de me parler, et puis tu as toujours eu tes tickets auprès de lui, même avant le divorce des parents.

Et la Faute Originelle, Élie lève les yeux au ciel. Pauvre Elena, ce qu’elle en a bavé, à cause de ce vieux rétrograde. Puis, il percute. Enfin !

— Attends, quoi ? Tu veux que j’aille en Auvergne chercher Pépé parce que tu t’es mis dans la tête que l’idée de Charlotte collerait tellement bien avec notre famille ? Non, mais c’est vrai, pourquoi pas, ramener Gilles de Rais dans une cour de récré, tant que t’y es ?

Maxime baisse la tête, et serre son arête nasale entre son pouce et son index. Il savait que ça n’allait pas être facile, il avait oublié la personnalité un peu exubérante de son cousin, qui rallongeait toutes les conversations.

Ayons une pensée solidaire avec Maryam, s’il vous plaît. Parce qu’elle tente, tant bien que mal, de ne pas éternuer.

— Je t’en prie, c’est une mission ! Tu seras mon éclaireur, mon héros !

Élie réfléchit – et vite – apparemment, lui aussi, pense à Maryam. Allez, Élie, tu peux le faire !

— D’accord, mon gros. Je vais aller le chercher, ton Pépé Jeannot, je vais lui expliquer que c’est sa dernière chance de rencontrer son arrière petit-mouflet. Mais à une condition. Tu te débrouilles pour convaincre Charlotte de m’accompagner.

— Charlotte ? Lance Maxime, pris de court.

— Elle sera dispo, après son voyage. Hors de question que j’aille me perdre là-bas, tout seul. Après tout, c’est son idée, tout ça.

Maxime soupire, et donne son accord. Et puis, il remarque la jupe sur le sol.

— Bon, je vais te laisser, dit-il avec un sourire un peu gêné. Je vois que tu tournes encore à plein.

Élie comprend, mais trop tard. Maxime désigne la porte de la salle de bain, fermée.

— C’est qui, cette fois, Julie ? Karen ? Honnêtement, je sais pas comment tu fais pour t’y retrouver.

— Que veux-tu, tout le monde n’a pas mon talent. Allez, file.

Il rit jaune, en refermant la porte sur le grand manteau marine de son cousin. Il a à peine le temps de se retourner, Maryam est sortie de sous le lit, elle est livide. Elle se rhabille, en silence.

— Maryam, tu penses bien que c’est des conneries, tout ça, c’est du passé, évidemment qu’il est pas à jour ! Tu veux dire à personne, pour nous deux !

— Me rends pas responsable de tes conneries.

— Putain, c’est à croire que tu cherchais un prétexte, hein ?!

— Pardon ? Elle répond, en perdant un peu son calme olympien. Un prétexte ? C’est tellement difficile de te faire confiance, Élie, t’as pas idée. On va reprendre un peu de distance toi et moi. Va chercher ton pépé, on en reparle après.

Merde. Merde, merde, merde. Don Juan est tout cassé, et Elvire se barre dans sa barque, sans un seul regard en arrière. La porte de l’appartement claque, Maryam se bouche le nez pour ne pas pleurer dans le couloir, et s’en va.

La Voie de la Pizza

Ce soir, Charlotte est seule avec son père. Anne est partie on ne sait où, comme elle a fait, deux ou trois soirs, déjà. Charlotte ne s’inquiète pas pour sa mère, elle lui parle encore, au moins. Elle la connaît par cœur, elle sait qu’elle a besoin de temps, de solitude, et de comprendre ce qui tracasse Peter. Charlotte essaye de ne pas y penser, elle a déjà suffisamment à gérer comme cela.

Ce soir, la jeune femme veut s’occuper de son père, à elle. Cinq jours qu’ils sont en froid, depuis la fameuse conversation qu’ils ont terminé en eau-de-boudin. Elle a planifié quelque chose, elle espère simplement que son père acceptera.

Oh, un petit truc, juste pour effacer la tension.

Elle retrouve son père, dans la cuisine. Il a son petit mot dans la main, et elle arrive avec un sourire qui n’ose pas vraiment être un sourire, sur le visage.

— Alors, tu en penses quoi ? Demande-t-elle à son père.

Il soupire, avant de répondre.

— Très bonne idée, la pizza est au four.

Le plan de Charlotte était assez simple et se résumait en quatre mots :

Pizza, bières, Tonton Flingueurs.

La combinaison qui avait toujours fonctionné avec Marc, grand fan d’Audiard. C’était un classique, mais rien de tel pour se recentrer. Et puis, Charlotte savait que Marc ne résisterait pas à toute la clique, Blier, Ventura, la tête à claque du jeune Claude Rich…

Marc a déjà dégainé son sourire « spécial Audiard », Charlotte le voit. D’ordinaire, il le charrie un peu là-dessus ; mais pas ce soir. Elle n’ose pas, tout est encore trop fragile. Et puis la dernière fois qu’elle lui a parlé avec franchise, on sait comment cela s’est terminé.

Alors, Charlotte et Marc profitent de la simplicité de cette soirée entre père et fille. Ils rient, aux larmes, et ils ouvrent même une deuxième petite bière. L’heure quarante-cinq du film passe, presque trop vite. En éteignant la télé, et avant d’aller se coucher, Charlotte interpelle son père.

— Je suis désolée, de t’avoir donné la sensation que je prenais toujours le parti de Maman. Je me suis pas rendue compte, que t’avais l’impression d’être mis de côté, ou de moins compter.

Marc écoute la voix posée de sa fille, il admire son courage. Elle en a tellement plus que lui, pense-t-il.

— J’imagine que je suis comme n’importe quelle enfant, après tout. J’aime pas voir mes parents se disputer.

— T’en fais pas pour ça, ma chérie. On a pas arrêté de s’aimer, ta mère et moi. On va résoudre tout ça, t’inquiète pas.

En se dirigeant vers les escaliers, elle passe près de lui, marque une pause, et ajoute :

— Je veux pas que tu croies que tu passes au second plan. T’as une place tout aussi spéciale, pour moi, d’accord ?

Il sourit en hochant la tête.

— Merci, ma chérie. Dors bien.

Charlotte remonte, le cœur plus léger. Peut-être dormira-t-elle mieux, ce soir.

Deux semaines, plus que deux semaines.